En Gironde, plus de 2000 personnes vivent dans des squats. Parmi les 130 bâtiments occupés recensés sur le territoire de la métropole bordelaise, 7 sont gérés par le collectif du SQUID, des squatteurs qui dédient leurs vies à rendre celle des autres moins pénible. Alors que durant tout l’été, le monde de l’hébergement d’urgence était attaqué frontalement par la Préfecture, celles et ceux qui logent plus de personnes que le 115 ont accepté d’ouvrir leurs portes à Revue Far Ouest.
« Squatteur », un terme qui a mauvaise presse. Et pour cause : il incarne aux yeux de notre société le parasitisme, la délinquance. L’angoisse, aussi : en particulier celle de voir des biens personnels investis par des asociaux bien décidés à ne pas s’intégrer au monde du travail.
Il est pourtant loin, le temps où les squats fleurissaient partout dans l’Est parisien, à la faveur d’années 1980 résolument punk et antisystème. La donne a changé, et les mutations de notre monde ont profondément révolutionné le monde du squat : si ce mode de vie demeure un choix pour certains, il est à contrario devenu une question de survie pour beaucoup de candidats à l’exil.
Talence, 21 mai 2019. Il est 17 heures. Devant « l’Ascenceur », -8 bâtiments laissés à l’abandon par l’Université de Bordeaux en 2018 —, ils sont encore une poignée, accroupis le long d’un muret, le regard hagard. Tous ont été évacués de ce lieu d’infortune dès l’aube par les forces de police. Les automobilistes empruntant cette artère sont éberlués. Il y a là des hommes, mais également des femmes et des enfants. Tous et toutes paraissent désorientés.
Sisteron, originaire de Mayotte, est abattu : « La police est arrivée à 5 h 30 du matin, en nous demandant de ne pas nous inquiéter, que nous serions relogés. Finalement, ils se sont contentés de nous mettre dehors, pour beaucoup. Ils nous ont traités comme des animaux, en nous parlant très mal. Je ne sais pas où aller. » Mohamed, originaire du Sahara occidental, poursuit dans un espagnol hésitant : « Ces bâtiments sont vides. Et nous sommes devant. Regardez, il y a des familles avec des enfants. Nous ne vivions pas ici par plaisir, juste parce que nous n’avions pas le choix. Nous recherchons une main tendue, et c’est la police qui nous a expulsés violemment, en nous criant dessus. »
Une femme s’arrête, discute avec un groupe de personnes. Elle leur conseille de « partir au SQUID », et leur indique une adresse dans le centre-ville de Bordeaux. Une heure après, il n’y a plus personne dans la rue Lamartine. Certains se sont évaporés dans les environs à la recherche d’une maison abandonnée, d’autres ont rejoint le centre-ville de Bordeaux, à la recherche d’un toit.
CENTRE SOCIAL AUTOGÉRÉ, PLUTÔT QUE SQUAT
À l’intérieur d’un bâtiment de la rue des Cordeliers, située à quelques encablures de la place de la Victoire, voici le « Gars-rage ». La porte d’entrée massive est entrouverte. Deux hommes se tiennent à l’entrée, surveillant les allées et venues autour du bâtiment. Dans la cour, ils sont une demi-douzaine. Fred, Juliette, Lolo en tête de gondole. À quelques mètres d’eux, plusieurs femmes et hommes, tous et toutes bénévoles, s’affairent aux fourneaux. « C’est quoi le SQUID ? C’est nous ! s’amusent-ils. Le SQUID ce n’est pas un bâtiment, c’est un collectif » explique Fred, en préambule.
Entouré de ses camarades, l’homme aux 38 printemps rembobine. Décembre 2018. Habitué des squats parisiens, il ouvre avec des comparses un bâtiment près de la gare Saint-Jean, afin de créer un espace collectif, destiné au milieu militant bordelais. « Cela ressemblait à tous les squats qui existent : une équipe qui tente de gérer, beaucoup de monde, des excès, des embrouilles. » Rapidement, la demande en matière d’hébergement augmente.

Une nuit, une trentaine de migrants frappe à la porte. Ils viennent d’être expulsés du lieu où ils étaient, et n’ont nulle part où aller. Fred, Juliette et les autres ouvrent leur porte. Mais le bâtiment est déjà surchargé. Ils n’ont pas le choix. Jack part en repérage afin d’ouvrir un nouveau lieu. Quelques jours plus tard, c’est chose faite. Mais ce nouveau squat se retrouve lui aussi rapidement pris d’assaut. La situation à l’intérieur est chaotique. « Nous étions réticents à mettre des règles. Mais ces mois compliqués nous ont enseigné une chose : le plus dur, ce n’est pas d’ouvrir des squats. C’est de les gérer », analyse Fred.
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