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Jeudi 29 mars 2018
par Véronique Duval
Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.

Thierry Bouret, important céréalier dans la plaine d’Aunis, défend l’installation de retenues d’eau pour irriguer ses champs. Pour lui, la question des bassines est avant tout affaire de volonté politique.

« Dans le monde, 17 % des surfaces (agricoles) sont irriguées. Ces 17 % représentent 40 % de la production mondiale. » Assis face à une baie vitrée qui s’ouvre sur une vaste parcelle de terre encore nue, Thierry Bouret, 55 ans, parle d’une voix posée. Pour le deuxième rendez-vous de ce feuilleton sur les protagonistes de la bataille de l’eau, au nord de la Nouvelle-Aquitaine, j’ai rendez-vous avec l’un des principaux céréaliers de la plaine d’Aunis.

Le 22 février, il me reçoit de bonne grâce dans la salle de réunion de ses entreprises. Mais il ne tient pas à s’étendre sur l’ensemble de ses responsabilités.

Outre les 200 hectares de l’exploitation familiale, à Bois-Joly sur la commune de Saint-Pierre-d’Amilly, Thierry Bouret gère la production sur un bon millier d’autres, via plusieurs sociétés dans lesquelles il est actionnaire principal ou associé. C’est aussi un grand irriguant. Chaque année, les canons à eau postés dans les champs arrosent blé dur et maïs. D’emblée, il précise qu’il souhaite s’exprimer sur l’eau non à partir de son cas particulier, mais d’un point de vue général, « pour dépassionner le débat ». Nous savons l’un et l’autre que nous ne partageons pas les mêmes idées sur le sujet.

Thierry Bouret, céréalier et pro Bassines
Thierry Bouret, céréalier et pro Bassines — Photo : Véronique Duval

Investi dans un groupement pour la construction, en 2008, de cinq réserves d’eau d’une capacité de 1,5 million de mètres cubes en bordure de Marais poitevin, il rencontre l’opposition d’habitants et d’associations. Nature environnement 17 porte l’affaire au tribunal administratif. Le feuilleton judiciaire dure plusieurs années. Les réserves sont jugées illégales en 2009, puis 2010. Néanmoins, le syndicat d’irriguant les remplit et les utilise chaque année, de 2010 à 2014. En 2015, après une nouvelle enquête publique, les réserves sont à nouveau autorisées. Enfin, en 2017, le tribunal administratif de Poitiers reconnaît le préjudice subi par Nature environnement 17 du fait de l’exploitation illégale des réserves pendant 4 ans.

Aujourd’hui, l’histoire bégaie. Alors, Thierry Bouret tient à promouvoir les bienfaits de l’irrigation, du stockage de l’eau, de l’exportation et d’une manière générale, l’excellence de l’agriculture française.

« Le premier trafic sur le port de La Rochelle, ce sont les céréales »

Fils d’une famille enracinée ici depuis plusieurs générations, le jeune homme décide de revenir après ses études s’installer à Bois-Joly, en 1983 : un bosquet en rase campagne, d’où émergent deux imposants silos métalliques et plusieurs hangars parmi quelques habitations. Sur ces terres ancestrales se trouvent les bureaux de ses entreprises.

Les cultures y sont irriguées depuis les années 70. En 1998, anticipant une réglementation plus restrictive sur les usages de l’eau, l’agriculteur fait construire une réserve : d’une capacité de 300 000 m3, elle permet l’arrosage de la totalité des 200 hectares et assure les rendements de maïs et blé dur. Une vue aérienne de l’ouvrage est affichée au mur. Rectangulaire et bâché, il occupe plus de 3 hectares.

Le blé dur est une culture assez importante dans notre petite zone. Son principal débouché, c’est l’Algérie… 

Le céréalier s’est mué en chef d’entreprise exportateur. Il produit pour un marché mondial, où les cours des grains sont cotés en bourse. Il suit de près ses évolutions et les données géopolitiques. Il vend ses récoltes au groupe Soufflet, dont les immenses silos dominent le port de La Rochelle-Atlantique. Leader français du négoce de grains, propriétaire des Grands Moulins de Paris, le groupe est présent dans 60 pays.

« Le premier trafic sur le port de La Rochelle, ce sont les céréales », informe Thierry Bouret. Son maïs part dans l’alimentation animale, en majorité vers des clients vendéens ou européens. Les blés sont chargés sur des bateaux. Destination : l’Afrique. « Le blé dur est une culture assez importante dans notre petite zone. Il y a de la demande pour les pâtes et la semoule… Son principal débouché, c’est l’Algérie… Le blé tendre, c’est aussi beaucoup l’Afrique du Nord et Sénégal, Mauritanie, Cameroun. » L’eau utilisée pour produire ici ses céréales est donc exportée ailleurs.

La cargaison doit répondre à des critères stricts : traçabilité, teneur en protéines, rapport poids/volume, taux d’humidité et absence d’insectes. « L’acheteur est très regardant sur tout. Il y a contrôle de la marchandise en chargement de bateau, mais aussi en réception. S’il y a un défaut important, elle peut être refusée. » Pour répondre à ces contraintes, l’exploitant doit mettre les moyens, en semences, séchage et traitements.

La valeur du stockage de l’eau

Thierry Bouret adhère à la coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres pour une société qui possède des terres à Mauzé-sur-le-Mignon, petite commune du Marais poitevin qui doit accueillir trois « bassines » pour plus de 1,2 million de m3.

Partisan des retenues d’eau, les réserves comme les barrages, mon interlocuteur souligne que la quantité d’eau sur Terre est constante, avec une pluviométrie moyenne de 800 mm. Sur le secteur, la moyenne est la même : « On ne manque pas d’eau, on est dans une zone favorisée. On a juste un problème de répartition sur l’année. » Le réchauffement climatique « donne encore plus de valeur au stockage de l’eau. »

Les oiseaux sont quand même intelligents : quand on fait quelque chose, ils se mettent dans le champ d’à côté ! 

Sur ce sujet, il estime que la volonté politique a changé. Il en veut pour preuve un exemple récent : Sivens. « C’était un barrage tout petit, un million et demi de m3 ! » Je lui rappelle que la contestation portait sur la destruction d’une zone humide. La réponse fuse : « C’est normal qu’on fasse un barrage où il y a de l’eau. Donc c’est toujours sur une zone humide. » Même si elles sont protégées et en disparition ? Thierry Bouret revient à son idée : la volonté politique fait aujourd’hui défaut. Et de citer le cas du barrage de la Trézence, projet porté par le conseil général de Charente-Maritime et abandonné il y a une dizaine d’années.

À l’écouter, les choses sont simples. Stocker l’eau permet d’en avoir à disposition quand on en a besoin. Sinon, elle part à la mer. Il calcule qu’en période de forte crue, il s’écoule en un jour 8 millions de m3, l’équivalent de la capacité des 24 réserves. « Quel est l’intérêt à augmenter le niveau de la mer ? »

A-t-il lu les arguments des opposants ? « Non, mais je les connais, répond-il. On n’est d’accord sur rien, mais on se côtoie… Je ne comprends pas la position des écologistes qui sont totalement contre. » Je lui précise qu’il y a aussi des pêcheurs et des gens qui vivent dans le marais. Il se redresse : « La position des pêcheurs est incompréhensible ! Ce qui est grave pour eux, c’est la politique aujourd’hui de dire que l’on va rendre les rivières naturelles. En fait, on va enlever tous les barrages… Sur le Mignon, les pêcheurs feraient mieux de se battre là-dessus, plutôt que pour ou contre des réserves. »

« On est dans un dilemme »

Ce projet n’affecterait donc pas les milieux naturels ? « Je peux comprendre l’argument quand on prend de l’eau au mois d’août », concède-t-il. Mais pour souligner aussitôt : « Moi, je dis que c’est plus important de faire de la nourriture qu’autre chose. » L’intérêt économique des réserves est-il justifié ? « Stocker de l’eau, ça a un coût élevé pour les exploitants ; c’était plus facile de pomper dans la nappe. »

L’intérêt économique des réserves est-il justifié ? — Photo : Flickr

In fine, Thierry Bouret résume sa pensée : « On est dans un dilemme aujourd’hui : est-ce qu’on continue l’irrigation ou pas ? » Envisage-t-il donc d’arrêter ? « Par la force ! Si on nous interdit de faire des réserves, ça veut dire qu’on met en cause l’irrigation. On ne peut pas être hors la loi. »

Il évoque l’épaisseur et la complexité des dossiers envoyés dans les mairies pour l’enquête publique, les coûts d’études « exorbitants ». Et fatalement… « Sur des milliers de pages, il suffit qu’il y ait une petite erreur, et ça va au tribunal administratif. » Des normes lui semblent absurdes : un projet de réserve sur la Boutonne est abandonné « parce qu’il y avait sur le lieu d’implantation un nid d’un oiseau. Les oiseaux sont quand même intelligents : quand on fait quelque chose, ils se mettent dans le champ d’à côté ! » Sur sa propre réserve, il observe « des canards, des mouettes… Sur les digues, il n’y a pas droit de chasse, ce sont des zones clôturées. Ça ne peut pas être plus mal qu’avant, pour l’environnement. »

Agriculteurs mal aimés ?

Je l’interroge sur la qualité des eaux souterraines et de surface, qu’un récent audit régional qualifie de préoccupante. Mon interlocuteur élude. Il revient au « problème de fond » : le fossé entre la population et les agriculteurs. Dans d’autres pays, ce n’est pas le cas, observe-t-il : « ils sont en demande de nourriture pour leur population… Nous, on va acheter dans les supermarchés, on pense que c’est en abondance tout le temps et qu’il n’y a pas d’agriculteurs qui l’ont fait avant… Même dans nos campagnes ! On n’est pas bien-aimés. » Ne pense-t-il pas que c’est un modèle agricole qui est contesté ? Non.

Comment voit-il l’évolution de la situation ? « Il y a un tollé total. Il y aura action juridique, ils l’ont annoncé… Ça fera comme Sivens, comme Notre Dame des Landes. Aujourd’hui, on est parti pareil. » Pourtant, conclut-il, « l’agriculture en France est une production remarquable dans le monde. » Je sens que pour mon interlocuteur, qui a construit toute sa réussite professionnelle sur ce modèle agricole intensif et exportateur, le remettre en cause est impensable.

Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

Bassine et Moi

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