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Mardi 10 octobre 2017
par Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS et Magali Maricot
Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Correspondant à Bordeaux pour Europe 1, pour qui je commente les matchs à domicile des Girondins, et pour Radio Classique, pour qui je fais des reportages d’information générale. J’écris dans Grazia en tant que pigiste régulier, pour la rubrique actualités, sur des thèmes très divers. J’assure également une correspondance, toujours à Bordeaux, pour le quotidien Le Courrier de l’Ouest. Je suis pigiste pour Sud-Ouest Magazine, le mook Sang-Froid et le Journal des Télécoms. .
Magali Maricot
Formée à l'école des Gobelins, à Paris, Magali Maricot a commencé sa carrière auprès de Gérard Vandystadt, lauréat du prix World Press Photo en 1990. Passée ensuite par L'Equipe, France Football, Rugby Hebdo, Aujourd'hui Sport, Magali a aiguisé son œil à l'exigeante école de la photo de sport. Elle a ensuite travaillé pour le quotidien France-Soir puis pour l'hebdomadaire féminin Grazia. Désormais photographe indépendante, Magali collabore au site Revue Far Ouest, au trimestriel Sang-Froid et aux hebdomadaires Sud-Ouest Mag et Vraiment.

Décembre 1913, Montcigoux retrouve (enfin) le squelette de son Seigneur : Ernest Pagnon de Fontaubert. Mais est-ce bien lui ? Dans ce hameau de Dordogne, un vieux squelette déterre de vieilles histoires…

Je m’appelle… Ah non, je ne vais pas vous dire comment je m’appelle. Enfin, si : appelons-moi Ernest, pour simplifier. Je suis un squelette. J’étais tranquillement installé depuis… des années, disons, dans une sépulture de fortune, sous le sol d’une maison. Mais on m’a exhumé un jour de décembre 1913 et depuis, on raconte un peu tout et surtout n’importe quoi sur moi.

J’aurais fait la guerre de Cent Ans, je serais parti au Far West au moment de la Ruée vers l’or, j’aurais eu des enfants avec ma sœur, qu’on aurait enterrés dans le jardin familial… Vous l’imaginez bien, ceci n’est pas vrai. En tout cas, pas tout.

Mais commençons par le commencement, de ma « deuxième vie » en quelque sorte : elle débute très précisément le jeudi 11 décembre 1913. Nous sommes dans le petit hameau de Montcigoux, qui dépend du village de Saint-Pierre de Frugie, en plein cœur de la Dordogne. On est à mi-chemin entre Limoges et Périgueux, entre la carte postale et le dépliant touristique : là, tout n’est que calme, vallons verdoyants et cours d’eau apaisés. « Des maçons sont appelés pour creuser une cave dans une petite maison située à une cinquantaine de mètres du “château” ».

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La place du village — Photo : Magali Maricot

Celui qui parle s’appelle Alain Vignol. Il a aujourd’hui 84 ans, l’accent du coin et la bienveillance gourmande du passeur d’histoire. Quand il évoque le « château », il exagère un peu : il s’agit plutôt d’une vaste demeure, une grande maison de maître. Il y avait bien un château du XIIe siècle, mais il n’en reste plus rien… sauf une vieille tour.

C’est là, d’ailleurs, que vous pourrez me rencontrer si vous passez dans le coin. Mais revenons à Alain Vignol, ou plutôt à ses maçons, qui ont entamé leur travail de terrassement.

Aussitôt, c’est l’effervescence dans le village : chacun accourt, y compris… les élèves, que le maître d’école laisse d’ailleurs complaisamment sortir pour assister, lui aussi, à la découverte macabre.

« Il a enfermé sa sœur dans la tour, jusqu’à ce qu’elle devienne folle et décède »

Parmi ces enfants, il y a Adrien Vignol, le père d’Alain. Il ne le sait pas encore du haut de ses onze ans, mais il deviendra le griot du village, le conteur, puis passera donc le relais à son fils. C’est Adrien qu’on envoie chercher le dernier qui ait connu intimement les Pagnon de Fontaubert, l’ancien régisseur : il s’appelle Jean Beaubatie. Adrien Vignol revient avec Beaubatie, qui a 80 ans et encore toute sa tête : à peine a-t-il franchi le pas de la porte qu’il se met à hurler : « Qué notrei mossur ! Qué notrei mossur ! Qué notrei mossur ! », « C’est notre monsieur ! » : la légende est née.

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La maison principale des Fontaubert — Photo : Magali Maricot

Car celui que vient de désigner le régisseur, pour les gens du village, c’est Ernest. Ernest Pagnon de Fontaubert, hobereau parti chercher fortune en Californie avec sa sœur Ernestine en 1850, et que personne n’a revu vivant à Montcigoux. Ernestine, elle, est bien rentrée en 1865. « Et quand elle est revenue, elle a dit aux gens du village que son frère était resté à Bordeaux, mais qu’il la rejoindrait quelques jours plus tard. Tout cela déplaisait beaucoup à Arthur, évidemment », détaille Alain Vignol.

Pendant ce temps-là, moi, je rigole bien.

Arthur ? C’est le frère cadet d’Ernest et aîné d’Ernestine. Il a administré seul le domaine familial en leur absence et aurait vu d’un mauvais œil leur retour. Après tout, un frère et une sœur qui débarquent d’Amérique ne peuvent-ils pas revendiquer une partie des terres ? Arthur, c’est celui qui avait fait construire cette maison proche de la demeure familiale en 1843.

Arthur c’est le violent, le bossu, l’Arthur aux mille vices pour les gens du village. « C’est lui qui a tué son frère. Et pour couvrir l’odeur pestilentielle, il a sacrifié deux de ses bœufs, qu’il a égorgés puis laissé pourrir dans sa cour », assure Alain Vignol. « Ensuite, il a enfermé sa sœur dans la tour, jusqu’à ce qu’elle devienne folle et décède un soir d’hiver, une grosse année après son retour », le 16 janvier 1867.

Voilà pour la thèse historique, « accréditée » en 1933 par un journaliste du Courrier du Centre, Antoine Valérie, à la plume davantage portée sur le lyrisme que sur la rigueur ; l’homme prend de nombreuses libertés avec la vraisemblance, allant jusqu’à accuser Ernest et Ernestine d’inceste, eux qui auraient — selon Valérie — enterré cinq de leurs enfants dans le parc du « château ».

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Ernest or not Ernest ? — Photo : Magali Marico

Aucun des protagonistes de l’affaire n’est plus là pour se défendre : Ernest et Ernestine sont morts, tout comme Arthur, disparu en 1879, Victorine et Hortance, les dernières survivantes de la fratrie, qui se sont respectivement éteintes en 1897 et 1903. Fin du procès populaire, donc, et début d’une petite renommée pour le village, puisqu’un film, des reportages et des livres sont consacrés à l’affaire, qui attire régulièrement quelques curieux en goguette.

Pendant ce temps-là, moi, je rigole bien. Car je vais vous révéler un secret : je suis un squelette, certes, mais je ne suis pas Ernest. Amusant, non ?

Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Correspondant à Bordeaux pour Europe 1, pour qui je commente les matchs à domicile des Girondins, et pour Radio Classique, pour qui je fais des reportages d’information générale. J’écris dans Grazia en tant que pigiste régulier, pour la rubrique actualités, sur des thèmes très divers. J’assure également une correspondance, toujours à Bordeaux, pour le quotidien Le Courrier de l’Ouest. Je suis pigiste pour Sud-Ouest Magazine, le mook Sang-Froid et le Journal des Télécoms. .
Magali Maricot
Formée à l'école des Gobelins, à Paris, Magali Maricot a commencé sa carrière auprès de Gérard Vandystadt, lauréat du prix World Press Photo en 1990. Passée ensuite par L'Equipe, France Football, Rugby Hebdo, Aujourd'hui Sport, Magali a aiguisé son œil à l'exigeante école de la photo de sport. Elle a ensuite travaillé pour le quotidien France-Soir puis pour l'hebdomadaire féminin Grazia. Désormais photographe indépendante, Magali collabore au site Revue Far Ouest, au trimestriel Sang-Froid et aux hebdomadaires Sud-Ouest Mag et Vraiment.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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