Épisode 1
7 minutes de lecture
Vendredi 26 janvier 2018
par Clémence POSTIS
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

En plein été, j’ai enfilé mes plus belles spartiates et je suis allée à un mariage gaulois. Pendant un week-end j’ai participé à un « jeu de rôle grandeur nature ». L’occasion d’en découvrir un peu plus sur nos « ancêtres les gaulois ». Entre spectres, démons, meurtres et mensonges de l’Histoire, embarquez avec moi IIIème siècle av. J.-C !

Mediolano, IIIe siècle avant J.-C

« Holà ! Ouvre les portes ! Voici la délégation du grand roi Lémos ! »

Le jour commence à tomber sur les hauteurs de Mediolano, l’oppidum du roi des Bituriges. La chaleur étouffante de la journée laisse place à la fraîcheur du soir. Après des semaines de voyage, notre cortège guette l’ouverture des portes. À sa tête, notre bon roi Lémos. L’épée au côté, vêtu de bleu et de rouge, la tête couverte de peaux de bêtes et de cornes : il vient pour épouser Vimpilla, la princesse des Bituriges.

« À partir de maintenant, ne reste jamais seule. Ne fais confiance qu’à tes sœurs prêtresses. »

Bienvenue dans le jeu de rôle grandeur nature Celtika : L’œil de Bélénos.

La mise en garde vient de Vercana, ma tutrice. Une prêtresse de Dana, comme moi. Enfin presque. Je viens ici pour être ordonnée novice de Dana, et vouer ma vie à la déesse. Également comprendre pourquoi tous les augures prédisent le sang et la mort pour ce mariage. Sans oublier de ne pas me faire trucider par un druide. Selon eux, une femme avec le don, c’est contre nature. La nature, ça ne se protège jamais aussi bien qu’avec un bûcher.

Les portes de Mediolano s’ouvrent. Nous sommes vendredi soir, et jusqu’à dimanche midi j’incarne Alauda, paysanne gauloise touchée par le Don. Bienvenue dans le jeu de rôle grandeur nature Celtika : L’œil de Bélénos.

L’aventure dont vous êtes le héros

Non, je ne vis pas au IIIe siècle après Jésus Christ, je ne suis pas novice de Dana, et bien sûr je ne dors pas avec un couteau sous mon oreiller à cause d’une brochette de réacs’ en toges amateurs de barbecues purificateurs.

Par contre, j’ai bel et bien porté des chaussettes en laine dans des spartiates tout un week-end d’août : j’ai participé à mon premier GN, mon premier « Grandeur Nature ». Régulièrement, un de mes passe-temps consiste à faire des parties de jeu de rôles avec mes amis. Autour d’une table, de préférence recouverte de pizzas, nous incarnons des personnages, avec des compétences et des caractéristiques définies, des dés pour déterminer le résultat de nos actions, et un maître du jeu pour scénariser le tout et nous guider. Donjons et Dragons, Septième Mer, l’Appel de Cthulhu… Le nerf de la guerre de la réelle culture geek depuis bien avant l’invention du terme. Un Grandeur Nature respecte la même disposition : des joueurs, un ou plusieurs maîtres du jeu et une aventure scénarisée qui avance selon nos choix. Mais dans des conditions réelles.

Fiche de personnage pour jeu de rôle
Une fiche personnage, des dés et l’aventure commence ! — Source : Flickr

Pour la Fédération Française des Jeux de Rôle Grandeur Nature, un GN est une « Rencontre entre des personnes, qui à travers le jeu de personnages interagissent physiquement dans un monde fictif. »
Pour Jérémy, scénariste et maître du jeu Celtika, c’est « à mi-chemin entre le théâtre d’improvisation et le jeu de piste. Mais il y a autant de définitions du GN qu’il y a de joueurs. » Ce grand gaillard, cheveux décolorés et torque d’or autour du cou, mène les joueurs et les figurants comme un général de guerre. Il est un des maîtres du jeu Celtika. Le MJ pour les intimes.

La nuit est tombée depuis un long moment sur les hauteurs du village. Sans éclairage urbain, je distingue à peine le bout de mes pieds. Pendant le banquet du soir, alors que je me débattais avec une immense fourchette à deux dents pour manger une tourte, un allumé du bocal s’est mis à invectiver l’assistance. Comme c’est un druide, personne n’a osé lui dire de se rassoir et d’y aller mollo sur la cervoise. Forcément, il a beuglé sur les prêtresses. Le résumé global était « brûlez-moi tout ça, ou les dieux vont vous défoncer sévère ».

Jérémy le MJ
Jérémy est le MJ. L’équivalent de Dieu sur un week-end : il peut vraiment vous pourrir la vie s’il le veut
– Source : Association Celtika

Autant dire que deux heures plus tard, en tunique blanche de cérémonie, prête à me faire introniser novice prêtresse, je m’interroge sur mes choix d’orientation professionnelle. À quelques pas de moi, à peine visibles dans les sous-bois d’une nuit d’encre, les yeux de Jérémy brillent dans l’obscurité alors qu’il annonce dans son talkie « Les prêtresses arrivent au Nemeton. Je répète, les prêtresses arrivent. » C’est officiel, j’aurais dû faire potière.

Nos ancêtres les Gaulois

Bordeaux — 10 octobre 2017

« Il n’y a pas de trace de “prêtresses” ou de “druidesses”. Je ne pense pas qu’on puisse trouver de mention à un tel culte. » Anne Colin est maître de conférences et spécialiste en protohistoire. Avec patience et bienveillance, elle m’explique que, comme tout le monde, tout ce que je pense des Gaulois est faux.

Je la rencontre à l’archéopôle de l’université de Bordeaux-Montaigne quelques semaines après le GN. Les cheveux coupés courts, lunettes rectangulaires vissées sur le nez, elle est la bienveillance incarnée. La professeure d’histoire rêvée.

Banquet sur vendredi soir
Premier soir, premier banquet, premier drama — Source : David Mazeau

« Les Gaulois n’ont pas existé. Ou en tout cas ils ne se sont jamais considérés comme tels. Ils étaient en réalité une myriade de tribus et d’ethnies différentes. Des Lémovices, des Bituriges, des Turons, des Santons… Ils partageaient certaines bases culturelles, mais ne se considéraient pas, et n’étaient pas, un seul et même peuple. »

Nous devons ce malentendu à César, le plus grand chroniqueur de l’antiquité sur les Gaulois. Dans La Guerre des Gaules, il présente ses ennemis sous un jour qui l’arrange. Caricature certains points, pompe des chapitres entiers dans des écrits des siècles précédents… En somme, une valeur historique et ethnographique assez moyenne. Mais au XIXe siècle, quand les historiens se rappellent qu’avant la culture gréco-romaine existaient d’autres peuples, ils ne se posent guère de questions. Nous sommes à une époque où il faut déterrer et construire l’histoire de France.

Mais les Gaulois sont insaisissables. Ils n’écrivent pas. Leur histoire, leur quotidien et leur culture appartiennent à la mémoire. Nous ne les connaissons qu’à travers l’histoire de leurs voisins, dont les Romains.

Pour eux, il y a deux « Gaules ». La Gaule avant les alpes — la Gaule Cisalpine — et la Gaule Transalpine — au-delà des Alpes. En somme, du nord de l’Italie jusqu’à la frontière belge, les Romains appellent tout ce qui a des pouces opposables un « Gaulois ». Mais ce sont des Arvernes, des Bituriges, des Sénons, des Carnutes, des Séquanes…

rituel des prêtresse
Dans la nuit noire, le rituel des prêtresses va commencer — Source : David Mazeau

« Par ailleurs, votre mariage ne peut pas se dérouler chez les Bituriges. Ce territoire-là était celui des Santons, vous avez plus de chances de trouver des Bituriges du côté du Pays basque. »

Mediolano, IIIe siècle avant J.-C

Nous sommes six représentantes du culte de Dana ce week-end. Vêtues de nos tuniques blanches de cérémonie, nous nous tenons en cercle dans une clairière en contrebas. Nous sommes encerclées par la nuit, mais nous entendons tout près de nous les bruits d’un combat. Des spectres attaquent les guerriers qui patrouillent autour de nous.

Jérémy nous accompagne dans la cérémonie. Sa voix, étouffée par un masque blanc, vide d’expression, semble résonner autour de nous.

« Vous fermez les yeux. Vous sentez une présence autour du cercle. Le temps se fige. »

Les yeux clos, nous ne bougeons plus. Je me contracte lorsque je sens Jérémy s’approcher de moi. Par réflexe je serre les poings, prête à lui coller une droite, malgré les instructions. Je le sens m’étaler un liquide bizarre sur le visage. Du faux sang. Il s’éloigne.

« Perte de conscience. »

L’une après l’autre, lorsque Jérémy nous touche l’épaule, nous tombons à terre. Jusqu’à ce que le maître du jeu nous indique la marche à suivre, nous devons simuler l’évanouissement.
J’entends alors un bruit sourd, un tissu qui se froisse, et un grognement mécontent.

Un hurlement déchire la nuit.

« Tu t’es fait mal ? »

Dans le noir, Jérémy a malencontreusement marché sur la prêtresse biturige Dama avant de se vautrer dans l’herbe.

Le druide est mort !

Bordeaux — 12 octobre 2017

Il est important de comprendre que tout ce nous pensions savoir des Gaulois est faux. Ou presque tout. Le casque avec des ailes ? Jamais ! Avec des cornes ? Ce sont les Germains qui en portent. Moustachus ? Non, ils se rasent de près — les nobles du moins. Des barbares sanguinaires ? Certainement pas.

Banquet gaulois
Les « Gaulois » avait une noblesse et une vraie culture du raffinement — Source : David Mazeau

En histoire, pour différencier le passage d’une société « primitive » à une société « civilisée », on s’appuie sur deux points : l’éducation et la justice. Les Gaulois connaissaient les deux notions, toutes sous l’égide des druides. Cette caste sacrée est également le sujet de nombreuses idées fausses, autant dues à César, qu’aux historiens du XIXe siècle ou à la pléthore d’escrocs baptisés druides après la disparition de ceux-ci au premier siècle avant J.-C. Avant de se faire plus ou moins éradiquer par les Romains et leurs alliés, les druides étaient une caste sage et puissante.

Ils refusent de soumettre leur savoir à l’écriture : la transmission est orale. Religion, traditions, événements marquants… ils sont les grands garants de ces connaissances. Faute de manuels scolaires, lorsqu’un enfant de noble doit être éduqué, il part rejoindre les druides.

La justice dépend également de l’ordre. Les druides sont réputés pour l’étendue de leur savoir, leur sagesse et leur éthique. Lorsqu’il s’agit de faire la médiation entre deux peuples décidés à en venir aux armes, on fait donc appel à eux. Ils sont au-dessus de ces conflits, car ils forment une confrérie interétats. Au fil du temps, ils permettent de remplacer les punitions arbitraires par des procès ritualisés. Les aristocrates gaulois ne sont plus en charge du droit de vie ou de mort : ils obéissent sur ce point aux druides.

Les guerriers se rassemblent dans la nuit : des spectres attaquent l’oppidum — Source : David Mazeau

Mediolano, IIIe siècle avant J.-C

« Le druide est mort ! Le Nemeton est profané ! Le druide est mort ! »

Un hurlement déchire la nuit. Je crois que quelqu’un passe un sale vendredi soir. Nous sommes une petite dizaine à remonter en hâte vers le Nemeton. En une heure et demie j’ai été intronisée novice de Dana, recouverte de sang, et attaquée par des spectres sur le chemin du retour.

Le druide qui avait réclamé la mort des prêtresses au dîner est allongé sur le dos, entouré par les bougies. Sur la pierre à côté de lui trône ce que je devine être son cœur au vu du sang sur sa poitrine.
Jérémy est là, toujours masqué. Il traverse l’assistance.

Le druide qui réclamait la fin des prêtresses est déjà mort — Source : David Mazeau

« Vous sentez une présence démoniaque quitter les lieux. »

Ce que je sens surtout, ce sont les regards insistants de l’assistance sur les six prêtresses couvertes de sang à côté du druide éventré. Maintenant, c’est sûr, je vais me faire poignarder, empoisonner ou brûler vive avant demain soir.

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
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