Épisode 3
6 minutes de lecture
Dimanche 25 mars 2018
par Clémence POSTIS
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

En Grandeur Nature la nuit du samedi est celle de toutes les aventures. Les intrigues se résolvent et les joueurs donnent tout dans cette dernière ligne droite. À quelques pas de la forêt, le Dieu Cernunnos rôde. Guet-apens, rituels magiques et sacrifice humain : il est temps de clore l’aventure Celtika !

J’ai froid, j’ai peur, j’ai les fesses mouillées.

« Sortez vos pierres, on va faire un sortilège de protection. »

En Cercle avec les autres prêtresses, nous jetons dans l’herbe nos pierres de magie. Blanches, elles se découpent dans la nuit noire alors que les cris de la bataille qui fait rage dans le village résonnent.

Même si le mariage a été annulé pour cause d’ensorcèlement, la soirée se passait plutôt bien. L’ambiance autour des tables de banquet avait perdu quelques degrés, le roi des Lémovices m’a surpris en train d’uriner derrière sa tente (j’avais la flemme de redescendre la colline pour aller aux toilettes), mais tout allait plutôt bien.

Jusqu’à ce qu’une troupe de druides guerriers débarque à Médiolano en réclamant la tête des prêtresses. Par chance, je les ai entendus arriver, et nous avons ainsi pu fuir en catastrophe. Mais maintenant j’ai vraiment peur.

Les druides ont envie d’en découdre !
Les druides ont envie d’en découdre ! — Photo : David Mazeau

La nuit est noire comme de l’encre, impénétrable. Les bruits de combat se sont calmés, nous n’entendons plus que le son de la rivière et des boucs parqués quelques mètres plus loin. Avec nous, Dovecos l’herboriste et Cunobaitos le guerrier loup. Si personne n’a bien compris pourquoi l’herboriste nous a suivis, Cunobaitos est notre protecteur attitré. Le seul capable de nous défendre.

« J’ai deux points d’armure. Je peux prendre deux coups avant d’être hors combat, on est tranquille ! »

On va mourir.

Il faudra ce qui me semble une éternité pour que nos alliés finissent par nous retrouver dans la forêt. Après un combat épique, les druides guerriers ont été déboutés. Et accessoirement brûlés vifs. J’avoue être un peu agacée de retrouver tout le monde frais et pimpant, déjà remis de leur combat, alors que j’ai encore le cœur qui bat la chamade et le peplos plein de terre.

Le Blues Post-GN

Bordeaux, 27 août 2017, 2 heures du matin

« Les druides, ils nous attaquent !

Mais non, rendors-toi. »

Mon compagnon, à peine réveillé, essaie de me calmer alors que je suis encore secouée de mon cauchemar. Je le confesse, dormir avec moi n’est jamais de tout repos : je fais des terreurs nocturnes. Plusieurs fois par nuit, de façon complètement aléatoire, je vais me réveiller en hurlant, voire en essayant de m’enfuir du lit.

Pour une fois, ces terreurs ont un côté intéressant. Voilà plusieurs jours que je suis revenue du GN, mais mon cerveau semble toujours coincé quelque part dans le IIIe siècle avant Jésus-Christ.

Petite séance de torture dominicale sur le devin
Petite séance de torture dominicale sur le devin – Photo  : David Mazeau

Une fois l’aventure terminée, alors que tout le monde rangeait les tentes sahara et remettait ses vêtements modernes, on m’a parlé du « blues post-GN ». Une sorte d’état un peu dépressif qui suit une aventure aussi immersive. Je le confesse, je me suis un peu moquée. Même si tout cela avait été follement amusant, je rêvais une douche, un vrai lit et un épisode de Game of Throne.

J’ai beaucoup moins ri de retour dans le salon de mon HLM. Les yeux dans le vague, je ressassais mes aventures avec Labrios le Barde. Pardon, avec Pierre, mon compagnon. J’ai découvert que mes camarades de jeu me manquaient. Pas eux à proprement parler, mais leurs personnages. Adnamatinia l’élue de Dana, Cléis la pythie esclave… Même Liamarus et ses « Par Bélénos ! », hurlés à toute heure du jour et de la nuit.

Si cet état un brin dépressif est passé en une soirée, mes terreurs nocturnes m’ont fait comprendre que mon petit cerveau avait du mal à traiter les informations du week-end. Pendant une semaine, j’ai rêvé de druides, de démons des forêts et de barde éloquent.

Mais que s’est-il passé dans mon cerveau pour que le retour soit si violent ?

Le Roi est mort

Médiolano, IIIe siècle av. J.-C.

« Douleur de masse ! »

Une vingtaine de personnes sont contraintes de se jeter à terre en hurlant de douleur. Ma belle performance digne du cours Florent est interrompue quand un guerrier me colle par mégarde la lame de son épée en mousse dans l’œil.

Nous sommes presque tous réunis dans la forêt, en bas du village. Des personnages non joueurs éclairent la nuit de leurs flambeaux. Au milieu de cette lumière chaude qui troue l’obscurité, Cernunnos, le Dieu de la forêt nous domine. Trois mètres de cornes, de griffes et de poils.

En première ligne, les guerriers tentent de le repousser vaillamment. Mais Jérémy, le maître du jeu, ne leur laisse aucun répit.

Cernunnos fait une apparition remarquée
Cernunnos fait une apparition remarquée – Photo  : David Mazeau

« Recul de masse ! »

Sa voix domine les invectives des combattants et les cris de la bête. Nous reculons tous d’un même mouvement.

Le sceau du Nemeton a été brisé, libérant Cernunos et sa soif de mort sur le village. La belle créature de l’après-midi n’était qu’un avant-goût de ce que le scénario nous promettait. Aucune alternative possible : pour enfermer à nouveau la bête, il faut un sacrifice. Un sacrifice royal.

Druides et prêtresses courent vers le Nemeton. Lémos, mon roi, a accepté de sacrifier sa vie pour sauver les nôtres. Avant de nous rejoindre, il a épousé en secret sa maîtresse Louernia. Désormais libéré du philtre d’amour qui l’enchaînait à Vimpilla, la princesse biturige, il a retrouvé pour elle l’amour des premiers jours. Les Lémovices vont perdre un roi de soir, mais ont gagné un héritier légitime avec le nouveau-né de Louernia.

Druides et prêtresses se tiennent en cercle autour de Lemos. Nous nous prenons les mains alors qu’Adnamatinia, l’élue de Dana, dit adieu à son frère.

Autour de moi, avec moi, le nœud du scénario se démêle.

« Par Bélénos ! »

Plus le temps pour les adieux déchirants : la bataille entre les guerriers et Cernnunos se rapproche de nous. Même en invoquant Bélénos, Liamarus ne pourra plus le retenir très longtemps.

À nouveau, je suis prise dans l’immersion du moment. Autour de moi, avec moi, le nœud du scénario se démêle. Ce n’est pas le maître du jeu qui nous amène ici : ce sont nos choix et nos actions. Nos voix s’élèvent dans la nuit alors que la fin du rituel approche. Mon regard croise celui de Louernia, effondrée en retrait. J’ai de la peine pour elle. La bête crie une dernière fois avant de disparaître définitivement dans la nuit. Le roi est mort.

C’est grave docteur ?


Bordeaux, février 2018

Je n’en démords pas : je veux comprendre ce qui s’est passé dans mon cerveau. Comment ma psyché, ou quel que soit le nom scientifique de ce qui me sert de conscience, a vécu cette immersion aussi profonde. Pendant un week-end, j’ai ri, j’ai eu peur, j’ai été émue. Même si les aventures étaient factices, les émotions étaient bien réelles. Pendant deux jours, je n’ai pas été une journaliste Revue Far Ouest, mais Alauda, novice de Dana.

Je commence à me méfier quand les psychologues contactés me proposent des thérapies sur le long terme. « On va d’abord discuter un peu de vous, pour comprendre quel vécu passé cette aventure a pu faire rejaillir. »

Louernia assiste, impuissante, au sacrifice rituel
Louernia assiste, impuissante, au sacrifice rituel — Photo : David Mazeau

Au téléphone, je hausse un sourcil. Je ne veux pas faire une thérapie je veux des termes scientifiques et concrets sur cette immersion. Sur comment le cerveau humain enregistre cette pure fiction en décor réel.

Je me tourne vers les universitaires. On peut toujours compter sur eux pour transformer en concepts compliqués des trucs marrants. Pourtant, je n’ai pas trop ri sur ce coup-là. À nouveau, on me promet des corrélations immersion/traumatisme d’enfance. Françoise Caubet, psychologue à l’Éducation nationale m’explique que « de tels jeux de rôle engendrent parfois des révélations sur du vécu psychique. La situation peut révéler des processus psychiques sous-jacents ».

J’ai beau me creuser les méninges, j’ai du mal à trouver un lien entre mes traumatismes d’enfance et courir dans la nuit pour échapper à des druides sanguinaires. Elle me propose de rencontrer « un psychologue clinicien dans un espace sécurisant affectivement pour vous aider à élaborer tout votre ressenti durant le jeu. »

Ma conscience professionnelle s’arrête ici. Parce que, malgré un recours frénétique à l’homéopathie antistress, je me considère comme une personne relativement équilibrée. Je suis même déjà allée chez un psy lorsque j’étais enfant.

On ne peut pas toujours mettre de jolis mots scientifiques sur des ressentis. En réalité, rien de négatif n’est ressorti de cette aventure. Je fais toujours des terreurs nocturnes (un petit souci ORL, pas de panique, tout va bien), mais au lieu de rêver de druides, je vois des ninjas dans ma chambre à coucher.

Le dimanche matin, mon ordination en tant que prêtresse a été officialisée !
Le dimanche matin, mon ordination en tant que prêtresse a été officialisée ! — Photo : David Mazeau

Vous n’avez eu qu’un aperçu de l’histoire de Celtika. J’aurais pu vous parler du vieux druide centenaire qui survit en aspirant la vie de ses disciples ; du devin à la solde de Cernunnos, exécuté le dimanche matin ; de Cunobaitos, le guerrier-loup qui se transformait chaque nuit pour aller chasser ; des druides qui « volent » le Don des femmes pour les empêcher de devenir prêtresses ; du fait que j’ai malencontreusement ensorcelé le barde Labrios.

Mais je préfère vous dire qu’après ce premier GN, c’est une nouvelle passion que j’ai découverte. Celle de l’aventure, de l’imagination, du partage. En octobre prochain, je débarquerai en Charente pour résister à une invasion d’extra-terrestres. Parce que mille aventures sont possibles, et que les seules limites sont celles de notre imagination.

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
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