Épisode 4
6 minutes de lecture
Jeudi 9 août 2018
par Alexia SIMON et Lucile MALARGÉ
Alexia SIMON
Apprentie journaliste pluri-média qui cultive sa curiosité. Alexia est également diplômée en Histoire de l’art et en documentation. Ex-stagiaire à la revue Le Festin.
Lucile MALARGÉ
Apprentie journaliste après des études d'anglais et de communication, Lucile a grandi entre guerriers elfiques et maîtres jedi. Passée par la web TV Geek Inc, elle aspire à devenir critique cinématographique.

Étudiante en hôtellerie et tourisme événementiel, Léa Morice est une mordue de jeu de rôle Grandeur Nature. À 25 ans, elle a décidé de consacrer son mémoire de fin d’étude à la place de la femme dans le GN.

Ils sont de plus en plus nombreux à s’adonner au jeu de rôle grandeur nature (GN). Le temps d’un week-end, ces passionnés deviennent des sorciers, des guerriers ou encore des mages dirigés par un maître du jeu qui décide du scénario. Léa Morice, une passionnée de GN a décidé de dédier son mémoire de fin d’études à cette pratique.

Pourquoi faire un mémoire sur ce sujet ?

J’ai commencé mes recherches en octobre quand la polémique sur le sexisme a éclaté. Je me suis dit que ça serait intéressant de me pencher là-dessus dans le GN. J’ai décidé d’orienter mes hypothèses sur l’insécurité qu’il peut y avoir pour une femme dans ce contexte de jeu. C’est un sujet passionnant. D’autant que je pratique moi-même le GN depuis cinq ans. De fait, j’ai les contacts nécessaires pour rencontrer plein de joueurs.

Dans tes recherches, as-tu reçu des témoignages de sexisme dans le GN ?

Oui, il existe plusieurs formes de sexisme dans le GN. Il y a le sexisme en jeu. Certains joueurs incarnent un personnage sexiste, mais c’est dans le jeu. Ensuite, il y a des personnes qui sont sexistes de base, donc là ce n’est plus le personnage. Résultat, lorsqu’une femme joue un rôle militaire important, elle est moins respectée, surtout pour les combats. Il y a beaucoup d’hommes qui ont du mal avec ça.

Dans le jeu on incarne un personnage, mais il y a des traits de personnalité qu’on ne peut pas toujours effacer.

J’ai déjà vu une joueuse très forte dans les situations de combat. Pourtant, alors qu’elle s’apprêtait à combattre un personnage, quinze personnes sont venues devant elle pour s’interposer. On lui disait : « Non, non, reste en arrière. On te protège ». Ensuite, il n’est pas rare qu’on coupe beaucoup plus de fois la parole à une femme lors de débats, ou qu’on ignore une fille qui exprime une idée. Et qu’on écoute un homme disant la même idée.

Le GN n’a pas toujours vocation à être réaliste. Cependant, le sexisme persiste. Pourquoi ?

Il y a deux éléments à prendre en compte. Pour commencer, l’univers dans lequel évolue le GN. Il y a des univers historiques qui se veulent réalistes, où les femmes sont traitées dans le jeu comme à l’époque. Puis, il y a une question d’éducation. Dans le jeu on incarne un personnage, mais il y a des traits de personnalité qu’on ne peut pas toujours effacer. Certains comportements sont liés au joueur, avec des réflexes que l’on retrouve dans le jeu.

Quelles sont les premières conclusions de tes recherches ?

Je me suis rendu compte qu’il n’y a pas tant de sexisme que cela, même s’il y a un pourcentage qu’il faut prendre en compte. Seulement 17 % des 300 femmes que j’ai interrogées se sentent en danger en GN. Dans ce pourcentage, 25 % se sentent en danger personnellement. Cela signifie que les autres se sentent en danger pour leur personnage, mais pas pour elles-mêmes.

Ça reste une faible proportion…

Oui, surtout que sur ce pourcentage, j’ai aussi demandé « Est-ce que ce danger vous le ressentez en GN ou également tous les jours ?» Au final, il y a 40 % qui ne le ressentent pas dans la vie de tous les jours. Cela représente peu de femmes, même si cela reste un chiffre non négligeable. Mais ces femmes qui ont peur continuent à participer à des GN !

Une fée
Une fée — Photo : Anthony Tran via Unsplash

Donc, même si elles ont peur, elles ont quand même la passion d’y retourner ?

Je trouve qu’il y a un effort d’adaptation, mais pas de polémique. J’ai lu beaucoup de commentaires de femmes qui n’allaient jamais seules en GN, mais plutôt en groupe, avec leurs amis ou leur mari. Elles choisissent aussi les associations dans lesquelles elles préfèrent jouer. Elles ont des techniques pour parer les joueurs et les joueuses qui peuvent être embêtants. Elles adaptent donc leur choix de rôle.

Par exemple, elles ne prennent pas le rôle de la prostituée, mais plutôt de la tavernière. Mais je ne suis pas vraiment d’accord avec cette idée qu’il y ait des rôles « à risques » : je préfère jouer une prostituée qu’une générale, je trouve ça beaucoup plus drôle. C’est une question d’adaptation.

Un sondage a été publié en 2014 pas le Thiase : seulement 13% des rôlistes, plateau ou GN, sont des femmes (en augmentation depuis 2010. Que penses-tu de ce chiffre ?

Ce chiffre assez bas de 13 % peut s’expliquer par le fait que tout ce qui relève du softball et du airsoft est considéré comme étant du jeu de rôle. Ces pratiques militaires du GN sont très masculines. Sur 300 femmes que j’ai interrogées, seulement quatre participaient à ces activités. J’ai déjà fait un GN de airsoft où nous étions deux femmes sur 80 joueurs. Même si le GN a tendance à se développer, on aura jamais une parité entre hommes et femmes.

As-tu déjà vécu des formes de sexisme ?

Il est déjà arrivé qu’on cherche à protéger mon personnage. Après, il m’arrive d’en jouer. Les femmes peuvent profiter de ce type de situations pour faire avancer leur personnage. Personnellement, j’ai arnaqué beaucoup de personnes de la sorte [rire]. Mais d’autres ont aussi eu des remarques inappropriées parce que je jouais un rôle de prostituée !

Même si le GN a tendance à se développer, on aura jamais une parité entre hommes et femmes.

Qu’apporte le GN dans la vie de tous les jours ?

Certaines témoigner d’une meilleure confiance en elles. Elles ont développé leur capacité d’expression orale et d’une meilleure — culture générale. Le GN se développe dans tellement d’univers qu’on s’ouvre à plein de domaines que l’on n’aurait peut-être pas explorés soi-même. Personnellement, le GN m’a donné confiance en moi. Les moments où je ne me sens pas bien, cela m’apaise. C’est très libérateur de ne plus être soi, de vivre des événements qu’on ne peut pas vivre autrement.

Ton type de GN préféré ?

Je pratique le GN dit « classique » sur des sessions de 48 h. Je m’adapte à plein de choses. J’aime les univers fictifs, style Game of Thrones, Warhammer ou post-apocalyptique. J’adore aussi ceux inspirés de l’Histoire, car cela me passionne.

Es-tu aussi maître du jeu ?

Oui, je suis devenue MJ cette année, en octobre. Mon GN a été très bien accueilli. Cela m’a permis de voir l’envers du décor. En tant que joueuse, je me suis toujours dit « Wow, les organisateurs, ils ont prévu ça, et tel retournement » et là je me suis rendu compte qu’en fait, rien n’est prévu. C’est là qu’on réalise que le joueur est aussi organisateur de son GN.

Le sexisme est un problème de société et ne concerne pas que le GN.

Est-ce qu’il t’arrive de jouer des personnages masculins ?

Oui cela m’est arrivé. C’était une expérience intéressante, même si je n’étais pas toujours très à l’aise. Je jouais avec des hommes, et même si je les connaissais, c’était compliqué de les cadrer. L’expérience s’est bien passée. Tout le monde savait que j’étais un homme, mon personnage était bien travaillé, et je n’ai pas vécu de discrimination par rapport à mon genre.

Quels types de retour as-tu eu sur tes recherches ?

Certains retours négatifs. Des personnes m’ont insulté sur les réseaux sociaux. Des féministes qui m’ont traité de « vendue », car je déconstruisais l’idée de la femme en danger pendant le GN. À l’inverse, des hommes m’ont traité de « putain de féministe ». Certaines personnes m’ont dit « Toi, viens pas jouer dans notre asso, on va te défoncer ! » Je pense que ces personnes-là n’ont pas saisi mon sujet.

Quelle conclusion tires-tu pour l’instant sur la place de la femme dans le GN ?

Je pense que ça dépend des points de vue. Le sexisme est un problème de société et ne concerne pas que le GN. En tant que femme, je trouve que dans l’environnement associatif GN, il y a un énorme progrès. C’est un milieu où les gens sont plus à l’écoute. Socialement parlant, il y a de tout, et cette mixité profite à tous.

Entretien réalisé en partenariat avec les étudiants en journalisme de l’EFJ.

Photo de couverture : Saksham Gangwar via Unsplash

Alexia SIMON
Apprentie journaliste pluri-média qui cultive sa curiosité. Alexia est également diplômée en Histoire de l’art et en documentation. Ex-stagiaire à la revue Le Festin.
Lucile MALARGÉ
Apprentie journaliste après des études d'anglais et de communication, Lucile a grandi entre guerriers elfiques et maîtres jedi. Passée par la web TV Geek Inc, elle aspire à devenir critique cinématographique.
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