Épisode 2
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Jeudi 19 juillet 2018
par Louise BUYENS
Louise BUYENS
Louise Buyens est journaliste en presse écrite et radio. Elle a collaboré avec Radio France, Society, Boudu et Sud Ouest.  Ses sujets de prédilection sont la santé, l'environnement et tout ce qui touche aux grands phénomènes de société.

Au début des années 1950, Lacq est l’un des piliers de l’industrialisation française. Des milliers d’emplois et de logements sont créés. Aujourd’hui, l’épuisement du gisement de gaz et les soupçons de pollutions menacent la survie du bassin.

Dans les premières années d’exploitation du gaz, les usines poussent comme des champignons après la pluie. Les travailleurs arrivent de tout le pays et les habitants du coin louent quasiment tous un bout de terre pour les accueillir. Mais rapidement la place vient à manquer. À la fin des années 1950, la ville nouvelle de Mourenx est bâtie en un temps record pour loger les salariés de l’usine. Aujourd’hui, on peut toujours voir les grandes barres d’immeubles grises dans lesquels vivaient les ouvriers.

Les contremaîtres étaient logés dans des pavillons et les cadres dans des villas situées sur les hauteurs. En dix ans, le village passe de 218 à 11 000 habitants. À l’époque, la commune voisine de Pardies a, elle aussi, profité du phénomène. Des quartiers entiers, financés par les propriétaires des usines, sont sortis de terre très rapidement pour répondre à la demande urgente de logements.

Alors qu’il reste moins de 3 % des ressources dans le gisement, il est difficile d’attirer de nouvelles industries.

Mais avec l’épuisement progressif du gisement de gaz, les usines commencent à fermer et le besoin de logements n’est plus aussi important. Actuellement, autour du bassin industriel, des panneaux « à vendre » attirent l’œil sur les devantures de quelques maisons. D’autres bâtisses, plus rares, sont abandonnées. Dans cette rue commerçante de la commune d’Artix, à quelques kilomètres du site de Lacq, les professionnels de l’immobilier ne s’en inquiètent pas. « Le marché de Pau et sa première couronne saturent. Du coup, les communes autour comme Lacq, Mourenx ou Pardies récupèrent les habitants. Le marché ne souffre pas des usines qui ferment », rassure une agente immobilière de la rue principale du centre-ville.

Des fermetures successives

Un peu plus loin, un autre professionnel du logement avance une seconde raison : « Dans ces communes, on a une maison pour le prix d’un appartement à Pau. » Les odeurs, les fumées, les soupçons de pollutions ne sont-ils pas un frein à l’achat ? « Vous savez, tout se négocie. On paie moins cher sa maison, mais on est à côté des usines », glisse-t-il, le plus naturellement du monde. Si la situation actuelle du bassin ne semble pas perturber le marché de l’immobilier, il en va autrement pour les salariés. En quelques années, ils ont vu beaucoup d’usines fermer. Certaines ont marqué la mémoire collective. En 2009 et après des semaines de lutte syndicale, l’usine Celanese, qui emploie 340 personnes, se retire du bassin. C’est un choc.

Le bassin industriel de Lacq, des enjeux sanitaires, mais aussi d’emploi
Le bassin industriel de Lacq, des enjeux sanitaires, mais aussi d’emploi — Photo : Louise Buyens

Nouveau coup dur en octobre 2013, lorsque Total, l’héritier de la Société nationale des pétroles d’Aquitaine qui a découvert le gisement quitte la plateforme industrielle. La Société béarnaise de gestion industrielle (Sobegi), filiale de Total, reprend en main la plateforme. Elle continue à extraire le gaz du gisement et fournit les usines du site en eau, gaz et en service de maintenance.

Désormais, alors qu’il reste moins de 3 % des ressources dans le gisement, il est difficile d’attirer de nouvelles industries. « Les employés de Total ont tous retrouvé du travail, mais ça n’a pas toujours été le cas dans les autres usines », regrette Jean-Michel Poupon, délégué CGT à Air Liquide, à Pardies. « Avant, on pouvait reclasser les salariés sur le bassin industriel. Mais aujourd’hui, on ne peut plus parce que les usines ferment. »

Aujourd’hui, même si les usines chimiques ont pris le relais, la lutte pour maintenir le site et les emplois est toujours très forte, « avec l’aide des élus », reconnaît le délégué syndical. En effet, les collectivités locales ont investi 12 millions d’euros pour faciliter l’arrivée de Toray, une entreprise japonaise spécialisée dans la fabrication de fibre carbone. L’usine est inaugurée en 2014 avec 50 emplois à la clé. En vendant un terrain de 160 000 m2 à Toray pour un euro symbolique et en le viabilisant à ses frais, Total a lui aussi fait un cadeau à l’usine, estimé à 10 millions d’euros.

C’est un véritable enjeu pour les élus à l’heure où l’activité industrielle du bassin décline. Le dernier exemple en date est la fermeture de l’entreprise Yara, en juin. Sur les 90 salariés, une trentaine seulement aurait retrouvé un emploi, d’après Jean-Michel Poupon. Cette disparition risque par ailleurs de mettre en péril la société Air Liquide avec laquelle Yara partage des équipements. La crainte d’un effet domino pose la question de l’avenir de ce modèle économique, entièrement basé sur l’industrie.

Modèle économique à revoir

Pourtant, les parlementaires continuent à se battre pour la survie du bassin. Le 4 octobre 2017, l’Assemblée nationale vote l’article phare du projet de loi de Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire, sur la fin de la production de gaz et de pétrole en France d’ici 2040. Jean-Paul Mattei et Josy Poueyto, tous deux députés de La République en marche dans les Pyrénées-Atlantiques, et David Habib, député socialiste de la troisième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, défendent avec succès un amendement qui permet d’exclure le bassin de Lacq de cette loi.

On ne peut plus compter sur le gaz pour drainer l’économie du bassin.

Pour le député socialiste, c’est une victoire : « Toute notre économie locale est fondée sur l’existence d’un complexe industriel qui a créé de la richesse et de l’emploi sur un territoire auparavant dédié à l’agriculture. Si je me suis investi ainsi, c’est parce que je défends l’activité économique du territoire dont je suis le représentant, où j’habite et où je suis heureux de vivre. » Alors qu’il reste à peine 3 % des ressources dans le gisement de Lacq, David Habib en est certain, « la capacité et les besoins en gaz font qu’on peut encore tenir 80 ans ». Une position que conteste Jean-Michel Poupon. D’après lui, on ne peut plus compter sur le gaz pour drainer l’économie du bassin. D’ailleurs, aucune entreprise ne s’est installée depuis trois ans.

Un mal pour un bien

Aujourd’hui, les récentes révélations au sujet des rejets par Sanofi de quantités considérables de substances dangereuses pour la santé jettent un regard noir sur le bassin de Lacq, déjà mal en point. Le site de Sanofi va-t-il devoir mettre la clé sous la porte et laisser entre 40 et 50 employés au chômage ? Pire : va-t-il faire des émules et provoquer la chute de toutes les usines du bassin ? C’est peu probable, rassure Jean-Michel Poupon. « Sanofi est la seule usine en France qui fabrique de la Dépakine, l’un des médicaments les plus utilisés contre l’épilepsie. Je ne crois pas à une fermeture définitive de l’usine. »

Sanofi : fermeture impossible ? — Photo : Louise Buyens

Il faut dire que c’est un scénario dans lequel l’entreprise aurait tout à perdre, d’abord économiquement, mais aussi au niveau de son image. Le délégué CGT en est convaincu : « Il n’y a qu’en prouvant à la population que Sanofi fabrique des produits qui soignent et qui respectent l’environnement que les autres industries pourront rester sur le bassin sans menacer les emplois. »

L’industrie chimique de Lacq doit redorer son image en devenant plus propre et c’est à Sanofi de commencer le travail. Le 9 juillet, l’entreprise annonce dans un communiqué qu’elle arrête la production sur son site de Mourenx, le temps de se mettre aux normes. Patrick Mauboulès, membre de l’association environnementale Sepanso, y voit une promesse de changement. « Il y aura un avant et un après Sanofi. Avec cette histoire, les pratiques qui existaient depuis la création du bassin de Lacq ne vont plus pouvoir continuer. » Reste que le problème d’émanations polluantes est officiellement connu de la Dreal et de Sanofi depuis octobre 2017. Il aura fallu attendre dix mois et un tollé médiatique pour que le groupe pharmaceutique réagisse.

Image de couverture : Philippe Roos

Louise BUYENS
Louise Buyens est journaliste en presse écrite et radio. Elle a collaboré avec Radio France, Society, Boudu et Sud Ouest.  Ses sujets de prédilection sont la santé, l'environnement et tout ce qui touche aux grands phénomènes de société.
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