Épisode 3
8 minutes de lecture
Dimanche 22 juillet 2018
par Louise BUYENS
Louise BUYENS
Louise Buyens est journaliste en presse écrite et radio. Elle a collaboré avec Radio France, Society, Boudu et Sud Ouest.  Ses sujets de prédilection sont la santé, l'environnement et tout ce qui touche aux grands phénomènes de société.

La surmortalité est inquiétante parmi les riverains du complexe industriel de Lacq. Pourtant, les pouvoirs publics et services de l’Etat ne reconnaissent toujours pas le danger et agissent en toute opacité.

Langue qui gonfle. Picotements dans le nez et dans la bouche. Brûlures dans les poumons, sur la peau et dans les yeux. « Les habitants décrivent tous les mêmes symptômes », rapporte Gilles Cassou. L’homme de 53 ans au physique athlétique explique ne pas fumer et n’avoir jamais eu de problème de santé. Pourtant, il souffre de bronchospasmes depuis trois ans. Des difficultés respiratoires qui provoquent des étouffements. Parfois, raconte-t-il, l’air lui est tellement insupportable qu’il part à des dizaines de kilomètres pour dormir dans sa voiture.

« Mon médecin du travail et mon pneumologue allergologue disent que ces agressions du système respiratoire sont dues à ce qu’il y a dans l’air. » Gilles Cassou a effectué toute sa carrière chez Total, ici, à Lacq — l’héritier de la Société nationale des pétroles d’Aquitaine y exploite le gisement de gaz depuis plus de soixante ans. Né ici, il ne comprend pas comment l’atmosphère a pu changer au point de le rendre malade.

Nature sur fond de fumée
Nature sur fond de fumée — Photo  : Louise Buyens

En fait, le risque sanitaire lié à l’activité des industries pourrait remonter aux débuts de l’exploitation du gisement de gaz. Des années 1960 aux années 1980, plus de 700 tonnes de dioxyde de soufre étaient relâchées chaque jour dans l’atmosphère. Or, « l’inhalation de dioxyde de soufre favorise l’hypersensibilité immédiate et augmente la sensibilité aux infections pulmonaires ». C’est ce qu’explique une étude épidémiologique datant de 2002 et réalisée par quatre chercheurs de l’Isped, l’Institut de santé publique d’épidémiologie et de développement de Bordeaux.

Le document auquel Far Ouest a eu accès démontre qu’entre 1968 et 1998, il y avait une surmortalité de 14 % chez les personnes de moins de 65 ans vivant à proximité de l’usine de Lacq par rapport aux habitants de la zone témoin la plus éloignée, à 12 km du site.

Surmortalité

L’étude révèle également une tendance à la surmortalité par cancer de 39 % sur la période 1991-1998, alors que la zone connaissait une sous-mortalité avant 1976. En trente ans, le nombre de morts, toutes causes confondues, s’élève à 1 124, dont 136 que les médecins n’arrivent pas à expliquer. Des habitants du bassin de Lacq sont-ils morts à cause de l’activité industrielle ?

« L’étude suscite des interrogations sur un possible impact sanitaire des polluants émis par cette industrie. Néanmoins, aucun lien de causalité directe entre la présence de l’usine et la surmortalité ne peut être établi au vu de ces seuls résultats » précisent les chercheurs, prudents. Ils recommandent alors une deuxième étude épidémiologique pour confirmer ou infirmer leurs hypothèses. Elle n’a jamais été réalisée.

« La population de Lacq est une population cobaye. »

Le problème avec les résultats des chercheurs, c’est qu’ils ont été cachés au grand public pendant quinze ans. Ni l’ARS (Agence régionale de santé), ni la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), ni même les élus locaux n’en ont parlé. En 2015, la Sepanso découvre leur existence grâce à un rapport de la Cour des comptes y faisant référence. Elle décide de déclassifier le document et d’alerter l’opinion publique. L’association demande, elle aussi, une deuxième étude épidémiologique, en vain. L’ARS a bien procédé à une évaluation des risques sanitaires en 2007 dans laquelle elle démontre que les habitants sont exposés à plus de 140 substances différentes dans l’air.

Mais, jusqu’à présent, l’institution s’opposait à la tenue d’une nouvelle étude épidémiologique. En 2009, devant le haut comité de la santé publique, le représentant de l’ARS, Michel Noussitou, déclare que « la demande sociale est inexistante, l’utilité est discutable et le coût est élevé ». Il ajoute : « Le lancement d’une étude fait courir le risque de briser la paix sociale. »

Un discours insupportable pour Michel Rodes. Selon lui, une nouvelle étude permettrait pourtant également de prendre en compte les nouveaux rejets du site, ceux générés par l’activité des usines arrivées après les années 1980. Des pollutions potentiellement plus dangereuses encore que les anciennes ? Pour le retraité, il existe aujourd’hui « des produits nouveaux dont on ne connaît pas l’impact à long terme. La population de Lacq est une population cobaye. »

Usines hors-la-loi

Pourquoi est-ce si difficile de prouver l’existence des pollutions industrielles ? Parce qu’en apparence tout est très encadré. Chaque année, les usines doivent fournir à la Dreal la quantité des substances qu’ils rejettent. Ces autocontrôles, réalisés par un bureau d’étude choisi et financés par les usines elles-mêmes, doivent prouver qu’elles sont dans les clous.

Mais la Sepanso a récemment démontré qu’au moins trois usines ne respectent pas les arrêtés préfectoraux auxquels elles sont soumises. La dernière en date, c’est Sanofi, une usine située sur la commune de Mourenx. Dans cette affaire, les chiffres sont impressionnants. L’usine a relâché 190 000 fois le seuil autorisé de bromopropane, une substance cancérigène et altérant la fertilité.

Sanofi n’est pourtant pas une exception sur le bassin de Lacq. Sobegi, la filiale de Total qui traite et purifie le gaz du gisement depuis 2013, aurait, selon la Sepanso, « rejeté en toute impunité des substances dans l’atmosphère pendant plus de trois ans ». Ces rejets, autorisés dans de rares cas par l’arrêté qui régit le fonctionnement de l’usine, ont pourtant été effectués de manière permanente, révèle le rapport de la Dreal en octobre 2015.

Colline artificielle
Colline artificielle — Photo  : Louise Buyens

Il a fallu attendre janvier 2016 pour que l’administration impose à l’industriel un arrêté de mise en demeure et l’oblige à résoudre le problème dans un délai de six mois. Les rejets auraient effectivement pris fin dès l’été 2016. Une inspection a lieu un an plus tard. Mais lorsque la Sepanso demande le rapport de la Dreal, elle trouve porte close.

La deuxième usine mise en cause par la Sepanso, c’est Arkema, située sur le site de Mourenx. En 2010, la Dreal découvre que l’entreprise rejette des effluents gazeux contenant de l’acroléine, une substance très toxique et corrosive pour les voies respiratoires. C’est une violation d’un arrêté préfectoral datant de 1997. Mais là aussi, l’usine met du temps à se mettre aux normes. Après deux mises en demeure en 2013 et 2014, un nouvel arrêté sort l’année suivante et somme Arkema de réduire ses rejets d’acroléine d’ici 2020, soit dix ans après la découverte du problème. « Au moment où on donne à une usine un certain nombre d’années pour se mettre aux normes, c’est une autorisation de continuer à polluer », dénonce Patrick Mauboulès, conseiller municipal à la mairie de Billère, à 20 km du bassin de Lacq, et membre de la Sepanso.

L’emploi en priorité

Tandis que certains industriels s’arrangent avec la loi, quelques élus ferment les yeux. David Habib est le député socialiste de la 3circonscription des Pyrénées-Atlantiques depuis 2002. Il a aussi été maire de Mourenx pendant dix-neuf ans et président de la communauté de communes de Lacq-Orthez pendant vingt-cinq ans. L’enfant du pays se veut très clair : « Il n’y a pas de pollutions industrielles. Nous sommes dans un État de droit. S’il y avait des pollutions, j’imagine et j’espère que les administrations, la Dreal en l’occurrence, auraient saisi le procureur de la République et demandé l’ouverture d’une enquête préliminaire en vue d’établir la responsabilité des industriels. » À l’évocation de l’étude sanitaire qui met en avant une surmortalité sur le bassin de Lacq, le ton monte : « Il n’y a pas d’élément définitif qui permette d’établir la chose. La dangerosité de Lacq, c’est une formule journalistique, point. »

« On est allé voir les industriels, ils disent que tout va très bien chez eux. »

D’ailleurs, pour lui, « en France on peut être résolument inquiet de tous les complexes industriels, notamment chimiques. Parce qu’il y a des femmes et des hommes qui considèrent que l’alpha et l’oméga, c’est l’environnement. » Ce sont sur ces mots que notre entretien s’est conclu cet hiver. À nouveau sollicité à plusieurs reprises au sujet des rejets de Sanofi, David Habib n’a pas donné suite à nos demandes.

Pour le député, l’essentiel passe par la création d’emploi, dont il a fait son crédo lorsqu’il était président de la communauté de communes. Il se targue d’avoir créé « un cycle vertueux où, tous les 18 mois, une entreprise nouvelle s’implantait sur le bassin de Lacq, générait entre 100 et 250 millions d’euros d’investissement et permettait la création de 40 à 200 emplois ».

Faible mobilisation

Des propos qui font bondir Gilles Cassou, propriétaire d’une maison au pied des usines du site de Lacq. « Le seul mot que les élus ont à la bouche, c’est l’emploi. Mais nous, on est intoxiqués. Alors qu’est-ce qu’on fait ? » Un soir, il y a plus de trois ans, 150 personnes se réunissaient dans la salle des fêtes de Lacq. Tous protestent contre les pollutions industrielles. Certains sont incommodés par les fortes odeurs émises par les industries. Pour d’autres, cela va jusqu’aux atteintes cutanées ou respiratoires. C’est ainsi que naît l’Arsil, l’association des riverains du site industriel de Lacq, présidée par Gilles Cassou. Une première étape vers une reconnaissance difficile. « On est allé voir les industriels, ils disent que tout va très bien chez eux. Puis les élus locaux qui n’ont pas compris, parce que personne ne s’est manifesté pendant des décennies. »

Pour se faire entendre, l’Arsil rejoint la Sepanso afin de mener des actions communes. Les associations envoient régulièrement des courriers à l’ARS, la Dreal et même à Marisol Touraine, l’ex-ministre de la Santé. En août 2015, elles portent plainte contre les pollutions industrielles. À ce jour, pas de nouvelle de l’avancée du dossier, mais une nouvelle plainte déposée, ce mardi (mardi 17 juillet), par la Sepanso contre le groupe pharmaceutique Sanofi. Si l’État n’avait jusque-là pas réagi aux revendications des associations, l’affaire Sanofi a changé la donne.

Paysage enfumé
Paysage enfumé — Photo  : Louise Buyens

Dans un communiqué commun du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot et de la ministre de la Santé Agnès Buzyn, le gouvernement assure que « toutes les conditions en matière d’émissions et d’absence de risques pour les salariés et les riverains devront être réunies pour que l’État puisse autoriser une reprise de l’activité du site ». Une fois la mise aux normes effective dans l’usine de Mourenx, « des prélèvements et analyses seront effectués par des laboratoires indépendants sur le site et dans son voisinage pour s’en assurer », poursuit le texte.

Un cabinet indépendant pour contrôler les installations des usines polluantes, c’est exactement ce que demande la Sepanso depuis plusieurs années. Si l’association se félicite de cette annonce, Michel Rodes se méfie : « Sanofi a déjà réalisé une étude des risques sanitaires entre janvier et mai 2018 par un cabinet qu’elle a choisi et payé. Elle explique qu’il n’y a aucun risque toxique et donc aucun problème pour la santé des riverains. » Or, pour le retraité, les conséquences de l’exposition à ces produits se mesurent sur le long terme. Pour en avoir le cœur net, la Sepanso a demandé une étude épidémiologique. Là encore, l’association avait déjà fait une demande en 2015 pour faire suite à l’étude de l’Isped de 2002. Une étude promise par l’ARS l’année dernière, mais qui n’a toujours pas démarré.

« Quand on voit les nuages dus à la pollution des voitures, on ne se pose pas autant de questions. »

Hormis les membres de l’Arsil, du côté des habitants, la vindicte est presque inexistante. Dans la commune de Mourenx, où se trouve une partie du complexe industriel, la majorité de la population vit ici depuis toujours. S’ils sentent les odeurs désagréables et voient les nuages de fumée au quotidien, la présence des industries ne semble pas les déranger.

« Tout le monde sait qu’il y a des usines et que c’est pollué. Mais qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? », interroge un pharmacien. Déménager, il y a déjà pensé, mais « on est quand même bien ici, dans le Sud, à une heure de la plage et de la montagne ». « Quand on voit les nuages dus à la pollution des voitures, on ne se pose pas autant de questions », relativise une de ses collègues.

Pour ce père de famille, la présence des industriels permettrait même une meilleure qualité de vie. « Avec les impôts qu’ils paient, on a de grands stades et les enfants partent en sortie scolaire à la montagne gratuitement. » Cette jeune femme en est certaine : « Si les usines fermaient, il y aurait trop de chômage… Ce n’est même pas imaginable. » Ici, tout le monde a un membre de la famille, un ami ou une connaissance qui travaille dans les usines. Dans le combat qui oppose la pollution industrielle aux riverains malades, ces derniers se sentent seuls contre tous.

Louise BUYENS
Louise Buyens est journaliste en presse écrite et radio. Elle a collaboré avec Radio France, Society, Boudu et Sud Ouest.  Ses sujets de prédilection sont la santé, l'environnement et tout ce qui touche aux grands phénomènes de société.
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