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Jeudi 26 octobre 2017
par Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS et Magali Maricot
Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Correspondant à Bordeaux pour Europe 1, pour qui je commente les matchs à domicile des Girondins, et pour Radio Classique, pour qui je fais des reportages d’information générale. J’écris dans Grazia en tant que pigiste régulier, pour la rubrique actualités, sur des thèmes très divers. J’assure également une correspondance, toujours à Bordeaux, pour le quotidien Le Courrier de l’Ouest. Je suis pigiste pour Sud-Ouest Magazine, le mook Sang-Froid et le Journal des Télécoms. .
Magali Maricot
Formée à l'école des Gobelins, à Paris, Magali Maricot a commencé sa carrière auprès de Gérard Vandystadt, lauréat du prix World Press Photo en 1990. Passée ensuite par L'Equipe, France Football, Rugby Hebdo, Aujourd'hui Sport, Magali a aiguisé son œil à l'exigeante école de la photo de sport. Elle a ensuite travaillé pour le quotidien France-Soir puis pour l'hebdomadaire féminin Grazia. Désormais photographe indépendante, Magali collabore au site Revue Far Ouest, au trimestriel Sang-Froid et aux hebdomadaires Sud-Ouest Mag et Vraiment.

J’aurais falsifié mon certificat de décès pour rentrer tranquillement du Far West. Tout ça pour que mon frère m’assassine. Mais voilà qu’une brochette d’empêcheurs de tourner en rond s’échinent à prouver le contraire. Aurais-je plutôt été un filou de chercheur d’or ?

Mon squelette, retrouvé au début du XXe siècle, serait donc celui d’Ernest Pagnon de Fontaubert, qui aurait été tué par son frère, Arthur. C’est en tout cas ce que racontent les gens du village depuis un siècle.

Sauf qu’un généalogiste assure que cette version n’est pas crédible. Et ça ne plait pas tellement aux gens du cru, qui ont le sentiment que l’on touche là à leur identité.

Ce qu’il reste de la Maison d’Arthur Pagnon de Fontaubert
Ce qu’il reste de la Maison d’Arthur — Photo : Magali Maricot

Toucher à l’identité d’un village, simplement parce qu’on remet sa légende en question ? Une croyance peut-elle être un élément de construction ? Croyez-en l’expérience du vieux squelette que je suis, chers amis : c’est l’histoire même de l’humanité. De la partie qui croit en un Dieu, bien sûr, mais pas seulement.

Cela fait belle lurette que l’on sait que « nos ancêtres les Gaulois », éléments essentiels et constitutifs de notre patrie, ne sont en réalité qu’un mythe… Mais c’est comme ça : qu’elles se réfèrent à un mythe ou à une réalité, nos légendes forgent, de facto, notre identité.

« C’est Ernest ! » n’en démord pas, ainsi, Alain Vignol. « Bernard Aumasson a fait un travail remarquable, mais pour moi, pour les gens du village, ce squelette est Ernest. L’histoire de sa disparition en Amérique, c’est du pipeau… Vous croyez qu’au moment de la ruée vers l’or tout était très clair, là-bas ? Pour nous, c’est évident : Ernest a organisé sa disparition pour se faire passer pour mort, a fait signer un certificat par quatre ou cinq copains et il est rentré en France », avant de se faire occire, pour de bon cette fois, par son frère.

Je peux vous dire qu’on ne plaisantait pas avec l’inceste à l’époque, là-bas.

Sauf que cette objection, raisonnable à première vue et à laquelle se raccrochent les tenants de la version « historique », est aujourd’hui difficilement crédible. Sans prendre parti, c’est aussi ce que laisse supposer Annick Foucrier, docteure de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui dirige le Centre de recherches d’histoire nord-américaine. Elle est notamment l’auteure du Rêve californien, Migrants français sur la côte Pacifique, XVIIIe-XXe siècles, paru chez Belin.

« On s’imagine parfois que la Ruée vers l’Or était une époque sans institutions, où il pouvait se passer n’importe quoi sans que personne ne soit inquiété. Ce n’est pas le cas. Il y avait des institutions, la justice et la police existaient, les assassinats n’étaient pas aussi fréquents qu’on l’imagine, surtout pas ceux de personnalités reconnues et respectées comme Ernestine et Ernest Pagnon de Fontaubert. Je m’intéresse à eux depuis longtemps, notamment parce qu’Ernestine était l’une des rares femmes françaises présentes au cœur de la ruée vers l’or… Le frère et la sœur ont embarqué au Havre, sur le paquebot Jonas, le 18 janvier 1851. Ils sont arrivés en Californie le 5 juillet de la même année. Là-bas, ils se sont établis à Cave City, où ils se sont enrichis grâce à l’or, bien sûr, mais pas directement. Ils étaient commerçants, et vendaient donc des objets utiles aux chercheurs d’or. Ce qui est aussi notable, c’est qu’ils étaient vraiment associés, Ernestine n’était pas en retrait comme l’étaient souvent les femmes à l’époque… »

Fureur à l’Ouest
Ernestine a tenu à se faire rembourser les nombreuses créances que lui devaient les uns et les autres ! — image du film Fureur à l’Ouest (1962)

L’universitaire est d’autant plus formelle sur l’assassinat d’Ernest en Californie qu’elle a, elle-même, collecté des documents irréfutables, qui donnent force détails sur l’épisode. « Oui, Ernest est bien mort le 26 février 1862, porteur de 2,6 kilos d’or. Les documents administratifs qui en attestent, les coupures des journaux, tout cela ne laisse aucune place au doute. On sait aussi qu’Ernestine a dépensé 19,30 dollars pour payer les obsèques de son frère, dont un dénommé Lopez s’est chargé de creuser la tombe contre 14,75 dollars. On sait également qu’elle a payé 16 dollars à un détective, un certain Anderson, dès le mois suivant la mort d’Ernest, pour qu’il enquête en marge des investigations officielles. Sans succès. »

C’est la mort de son frère qui pousse Ernestine à liquider ses affaires en Californie pour revenir en France. « Elle est restée un peu sur place parce qu’elle a tenu à se faire rembourser les nombreuses créances que lui devaient les uns et les autres ! Ce qui discrédite encore la thèse d’une disparition volontaire d’Ernest, car elle s’est retrouvée seule, elle, une femme qui parlait mal anglais, à devoir les recouvrer. Elle est y pourtant parvenue, ce qui démontre d’ailleurs qu’elle était parfaitement saine d’esprit, au moins jusqu’à la fin de son séjour américain… » assure Annick Foucrier.

Elle dément, au passage, une autre rumeur, celle d’une relation incestueuse entre le frère et la sœur : « C’est rigoureusement impossible. Cela se serait su tout de suite, et je peux vous dire qu’on ne plaisantait pas avec l’inceste à l’époque, là-bas. Il n’y avait aucune tolérance ; ils auraient été pendus. »

La tour où Ernest Pagnon de Fontaubert a été retrouvé
La tour où Ernest a été retrouvé — Photo Magali Berthelot

Ah ça, je peux vous l’affirmer : je n’ai pas été pendu par la foule outrée par mes mœurs. Donc, sur ma tombe, on n’aurait de toute façon pas écrit « mort par pendaison », ce qui aurait été plutôt dégradant, vous ne trouvez pas ? Remarquez, vous aurez bien compris que, de toute façon, comme je n’ai pas de tombe, le problème est réglé.

C’est vrai, je n’ai pas de tombe, ou alors personne ne sait où elle est. Original, non ? Si, si, original. Sauf que ce qui l’est encore plus, original, c’est que c’est aussi le cas de toute ma famille. Hé oui, mon frère, mes sœurs, mes parents, personne ne sait où tout ce beau monde est enterré. Et ça, je peux vous le dire, pour une famille à particule dans un petit village, ce n’est plus de l’original : c’est presque du paranormal.

Photo de couverture : Robin Hall/Flickr

Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Correspondant à Bordeaux pour Europe 1, pour qui je commente les matchs à domicile des Girondins, et pour Radio Classique, pour qui je fais des reportages d’information générale. J’écris dans Grazia en tant que pigiste régulier, pour la rubrique actualités, sur des thèmes très divers. J’assure également une correspondance, toujours à Bordeaux, pour le quotidien Le Courrier de l’Ouest. Je suis pigiste pour Sud-Ouest Magazine, le mook Sang-Froid et le Journal des Télécoms. .
Magali Maricot
Formée à l'école des Gobelins, à Paris, Magali Maricot a commencé sa carrière auprès de Gérard Vandystadt, lauréat du prix World Press Photo en 1990. Passée ensuite par L'Equipe, France Football, Rugby Hebdo, Aujourd'hui Sport, Magali a aiguisé son œil à l'exigeante école de la photo de sport. Elle a ensuite travaillé pour le quotidien France-Soir puis pour l'hebdomadaire féminin Grazia. Désormais photographe indépendante, Magali collabore au site Revue Far Ouest, au trimestriel Sang-Froid et aux hebdomadaires Sud-Ouest Mag et Vraiment.
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