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Lundi 8 novembre 2021
par Sevan Hosebian-Vartanian
Sevan Hosebian-Vartanian
Originaire de la Drôme, Sevan Hosebian-Vartanian a rejoint le Sud-Ouest pour intégrer l'Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba) en 2019. En alternance à Far Ouest pour l'année, ses sujets de prédilection sont les problématiques sociétales et les questions religieuses.

Depuis 2016, les demandes de prise en charge affluent toujours plus au Centre d’Accueil Spécialisé dans le Repérage et le Traitement des Traumatismes Psychiques (CASPERTT) de Lormont. Cette unité du centre hospitalier Cadillac vient en aide aux personnes ayant vécu des évènements traumatiques. Son but : qu’elles remontent la pente.

« Clinique des Gravières. Centre psychothérapeutique. Hôpital de jour. Centre -médico-psychologique. » Les plaques violettes qui indiquent ces lieux semblent avoir perdu de leur éclat et de leur couleur. Juste en dessous d’elles, un autre panneau, bien plus foncé, détonne de l’ensemble. Il n’est là que depuis 2016. « Centre d’Accueil Spécialisé dans le Repérage et le Traitement des Traumatismes Psychiques (CASPERTT) »

Ce centre, inauguré en 2016, a été créé par les psychiatres Cyril Alexandre Regis et Samantha Al Joboory. « Nous avons lancé ce projet pour faciliter l’accès à une équipe de professionnels spécifiquement formés à la prise en charge du traumatisme. Une offre était proposée au niveau libéral, mais à prix fort, donc les plus pauvres ne pouvaient pas faire l’avance des frais », détaille Samantha Al Joboory.

L’unité, située à Lormont, dépend du centre hospitalier Cadillac. Ici, les patients ont été confrontés à un ou plusieurs épisodes traumatiques, c’est-à-dire un évènement passé « qui s’invite et parasite le présent de manière négative et de manière disproportionnée et irrationnelle », explicite Mélanie Saint-German, une des sept psychologues de la structure. Ils sont épaulés par quatre médecins psychiatres, deux infirmières et deux secrétaires médicales.

Dans le cas où les conséquences psychiques d’un traumatisme perdurent au de-là d’un mois, on parle de trouble de stress post-traumatique. (TSPT) Ce trouble se caractérise par des symptômes comme une hypervigilance, un trouble du sommeil, de l’humeur, de la concentration, des flashbacks et des cauchemars. « Agir rapidement après le traumatisme permet de prévenir l’installation de ce trouble du stress post-traumatique et des pathologies associées, comme la dépression ou une addiction », explique la psychiatre.

Si le centre a d’abord été dédié à soigner les traumatismes simples, ceux qui sont issus d’un seul épisode traumatique (un attentat, un accident de voiture, etc.), les soignants traitent de plus en plus de patients ayant vécu des traumatismes complexes, qui découlent de situations traumatiques réitérées, comme des violences ou maltraitances répétées. La sectorisation de l’unité début 2020 a permis ce glissement.

En effet, tout le monde ne peut pas être suivi au CASPERTT. Il faut habiter dans le secteur qui part de l’est de Bordeaux et s’étend d’un côté jusqu’à Libourne, de l’autre jusqu’à Cadillac. « Au départ, nous étions la seule structure publique spécialisée, nous accueillions donc des patients de toute la région. En 2020, un centre sur le psychotrauma a vu le jour au centre hospitalier bordelais de Charles Perrens. Le CASPERTT a donc été sectorisé, ce qui nous a permis de traiter davantage de traumatismes complexes », ajoute Samantha Al Joboory.

Pour ce faire, l’équipe médicale est formée à une panoplie de thérapies : l’hypnose, les thérapies cognitives et comportementales (TCC), la programmation neurolinguistique (PNL), mais aussi l’EMDR, pour « eye movement desensitization and reprocessing », en français « désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires ».

« En 2015, le nouveau directeur de l’hôpital a accepté de miser sur l’innovation. Les thérapies utilisées au centre sont novatrices et peu utilisées dans le secteur public. De plus, les membres de l’équipe sont formés à plusieurs thérapies. Ils peuvent piocher dans leur boîte à outils et créer une thérapie sur mesure en fonction des symptômes du patient », explique la psychiatre co-fondatrice de la structure.

Une prise en charge gratuite rapide en cas d’urgence

Le CASPERTT occupe une petite partie des locaux du centre psychothérapeutique de Lormont. La porte vitrée située sur l’aile droite du bâtiment donne sur un long couloir. Après s’être installée sur une des chaises multicolores de la salle de réunion, Marie*, cheveux courts bruns et pull bleu électrique, nous raconte son histoire, juste avant sa séance.

Le premier confinement de mars l’a fragilisée. Puis, d’avril à novembre 2020, en l’espace de seulement 8 mois, elle a perdu quatre personnes de son entourage très proche et deux collègues de travail, la première en septembre, la deuxième au mois de novembre. Plusieurs deuils successifs peuvent former un traumatisme, « car l’organisme a ses limites de digestion, détaille Samantha Al Joboory. Quand plusieurs évènements traumatiques se succèdent, on parle de cumul traumatique. Un des facteurs de prévention de ce cumul traumatique est l’entourage social, familial. Quand on perd nos proches, le réseau s’effondre. »

Marie a donc eu besoin d’un soutien. Rapidement. « J’étais envahie par toutes ces émotions, je ressentais un sentiment d’injustice, une colère. Je ne pouvais pas laisser tout cela en moi, car sinon, cela sortait par le corps. Il fallait que je me soigne. » 

C’est après s’être tournée vers sa psychologue du travail, qui lui a parlé du CASPERTT, qu’elle y a débuté sa thérapie en novembre 2020. « Savoir que ce sont des professionnels de santé spécialisés dans le traumatisme qui ont été sélectionnés, recrutés par une institution, cela m’a rassuré »,explique Marie, qui est aussi venue ici car elle habiteprès du centre et que la structure étant publique, le suivi y est entièrement gratuit.

Le centre évalue les demandes et répond en priorité aux plus urgentes. Malgré la sectorisation, « les délais sont de plusieurs mois maintenant, car la demande est forte », nous avait indiqué Sandrine, l’une des deux secrétaires du centre, lors de notre première venue. Marie n’a pas attendu très longtemps, quelques semaines après le dernier décès intervenu dans son entourage, sa demande étant jugée prioritaire. « Nous priorisons les traumatismes récents, car plus nous agissons près du traumatisme, plus les chances de guérison sont élevées », explique la psychiatre. 

L’EMDR, une des solutions

Aujourd’hui est un grand jour pour Marie. Après plusieurs séances de parole, elle va tester pour la première fois l’EMDR avec sa psychologue, Mélanie Saint-German. La thérapie EMDR, pour « désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires », a été développée en 1987 par Francine Shapiro, une psychologue américaine. L’EMDR, tout comme les thérapies cognitives et comportementales, est recommandée depuis 2013 par l’Organisation mondiale de la santé pour prévenir et traiter le trouble de stress post-traumatique.

Cela fait maintenant trois ans que la psychologue clinicienne Mélanie Saint-German suit plusieurs patients au CASPERTT, où elle travaille à mi-temps. Lorsqu’elle coordonne une séance d’EMDR, elle utilise une machine blanche en plastique de forme rectangulaire. Dessus, des ampoules se suivent sur un axe horizontal et émettent de la lumière blanche, que doit suivre le patient. Elles s’allument au fur et à mesure, de gauche à droite ou de droite à gauche.

Aux deux extrémités et au-dessus du rectangle, des sortes de manettes dépassent. Elles vibrent un coup à gauche, un coup à droite. Il faut y placer ses mains. Une autre technique, le tapping, consiste à tapoter sur les genoux du patient, à gauche puis à droite. « L’EMDR permet de restaurer la connexion entre deux parties du cerveau : les aires corticales, qui traitent les informations et le système limbique, qui contient le système de la peur et des émotions », clarifie la psychiatre Samantha Al Jaboory. La stimulation sensorielle recrée cette connexion dans le cerveau et permet au patient de ranger correctement à sa place les souvenirs traumatiques en se débarrassant des sensations et émotions négatives associées.

Le point de départ d’une séance est souvent une image gardée en tête qui provient d’une situation traumatique. L’esprit vagabonde durant la séance, passant d’une image à une autre sous l’effet de la stimulation sensorielle. La psychologue guide le patient, sans calquer d’interprétation. Mélanie Saint-German prévient Marie qu’il est l’heure de débuter sa séance. Elle quitte alors la salle de réunion sans trop d’appréhension.

Des séances parfois éprouvantes

« Une fois, je suis partie d’une image d’un de mes violeurs et j’ai fini sur Big Flo et Oli ! » s’exclame Annaëlle, qui entre au CASPERTT. Ayant été victime de violences sexuelles, elle est suivie par Mélanie Saint-German depuis 3 ans. Le cousin de son père et le meilleur ami de ce dernier l’ont violée de manière répétée pendant 4 ans, de ses 8 à 12 ans. À ses 14 ans, c’est le meilleur ami de son cousin qui la viole.

La jeune fille de 17 ans a déjà suivi plusieurs séances d’EMDR. Pendant plusieurs jours, des images de ses viols s’immisçaient dans ses songes. « Je revivais mes viols toutes les nuits », déclare-t-elle, accoudée à la table de la salle de réunion du CASPERTT. Ces images éprouvantes, elle les a « retraitées » en thérapie. « L’EMDR, c’est toujours lourd. Parfois, le soir, en rentrant, je peux pleurer 3 ou 4 heures. » Mais les résultats sont là : les cauchemars ont cessé.

Si aujourd’hui la lycéenne est enthousiaste à l’idée de venir vider son sac lors de sa séance, la première fois qu’elle a passé le pas de la porte du centre, c’était à reculons. Elle habitait à l’époque en Gironde. En avril 2018, Annaëlle avait expliqué sa situation à l’équipe pédagogique de son établissement qui avait averti les parents de la jeune fille. « Je n’ai pas osé en parler à mes parents, car j’avais peur de leur réaction ».

Ses parents ont rapidement réagi, en déposant plainte. Depuis, Annaëlle ne parle plus à son père. « Il a osé pleurer lorsque le lycée l’a prévenu, mais le lendemain, il m’a dit qu’il ne me croyait pas. » Sa mère, très présente pour sa fille, s’était quant à elle tout de suite mise à la recherche d’un suivi psychologique pour Annaëlle.

La lycéenne, poussée par sa mère, avait alors consulté plusieurs psychologues dans le libéral. « L’un d’entre eux m’avait expliqué que ce qui m’était arrivé était de ma faute. Il sous-entendait que j’étais consentante, car il m’a dit qu’une culotte, ça ne s’enlevait pas tout seul », déclare Annaëlle, amère. De quoi lui couper l’envie de faire une thérapie.C’est finalement un infirmier qui parle du CASPERTT à sa mère. Depuis 2018, Annaëlle y suit une thérapie basée principalement sur la parole ponctuée de quelques séances d’EMDR. Depuis, elle a déménagé à Jonzac, en Charente-Maritime, mais elle continue à faire le trajet pour assurer son suivi au centre.

Au bout d’une heure environ, Marie* sort de sa séance d’EMDR. La quarantenaire, qui semblait en forme avant la séance, a l’air particulièrement épuisée. Elle explique, de sa voix toujours calme et qui ne tremble pas : « C’est particulier… Cela a été éprouvant, mais nécessaire. Cela m’a permis d’allier le cérébral au corps, j’ai ressenti beaucoup de choses dans mon corps. »

Une reconstruction toujours en cours

Marie et Annaëlle sont unanimes : leur suivi au CASPERTT les apaise grandement. Pour autant, la reconstruction est encore dure. « Les séances font du bien, car ce qu’on garde au fond de soi, on arrive à le démailler. C’est comme si c’était un tricot et que, petit à petit, on déconstruit des choses pour les comprendre. Je ne suis pas complètement apaisée, mais j’ai moins cette colère que j’avais avant, cette colère liée au deuil, qui faisait qu’au lieu de vivre la situation avec distance ou recul, l’émotion prenait le pas », confesse Marie.

Elle ajoute : « La thérapie m’aide à prendre ce recul, mais c’est compliqué de reconnaître que oui, je ne vais pas encore bien. Ce n’est pas évident de l’accepter, d’être face à la réalité. » Elle enfonce le clou, optimiste : « Mais j’ai envie que les choses avancent. Pour cela, il faut dire tout haut ce qu’on pense. »

Pour Annaëlle, suivie au CASPERTT depuis plus longtemps que Marie, l’amélioration est encore plus visible. Maintenant, elle arrive à parler de ses viols sans fondre en larmes. Mais ce sont les démarches judiciaires, encore longues, qui l’empêchent d’avancer totalement. Un de ses agresseurs n’a pas été poursuivi, faute de preuves selon la justice, mais les deux autres violeurs vont être jugés.

Même plusieurs années après les viols qu’elle a subis, leurs souvenirs réapparaissent encore parfois, notamment à chaque convocation judiciaire liée aux deux procès en cours. Cela arrive. Rien d’anormal selon elle. La différence est qu’à présent, elle arrive à « gérer » la situation grâce à sa psychologue et à la thérapie. Elle précise, très lucide sur la situation malgré son jeune âge : « venir ici me fait du bien, mais ce n’est pas parce que je consulte que tout est parfait. »

Sa trajectoire vers la reconstruction a beau être irrégulière, la lycéenne poursuit sa route et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Je me reconstruirai totalement quand les procès seront terminés et qu’une page sera tournée », confie-t-elle avec détermination et courage en pensant à l’avenir. « J’y arriverai. »

Sevan Hosebian-Vartanian
Originaire de la Drôme, Sevan Hosebian-Vartanian a rejoint le Sud-Ouest pour intégrer l'Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba) en 2019. En alternance à Far Ouest pour l'année, ses sujets de prédilection sont les problématiques sociétales et les questions religieuses.
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