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Mercredi 19 février 2020
par Clémence POSTIS
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

De 2009 à 2012, Dorian a habité une « maison hantée » à Pessac. Il a appris à vivre avec les bruits de pas, les chaises qui raclent le sol au cœur de la nuit, et les lumières impossibles à éteindre. Il ne croit pas aux fantômes, mais admet ne pas pouvoir expliquer rationnellement ce qu’il s’est produit là-bas. Cette histoire est celle d’un jeune homme qui a tout fait pour comprendre l’incroyable.

Note : Je tiens à préciser que je connais le protagoniste de ce témoignage. J’ai dormi dans cette maison, et j’ai échangé avec bon nombre de ceux qui sont allés y passer une nuit, « pour voir ». Encore aujourd’hui, aucun de nous n’est capable d’expliquer les phénomènes dont nous avons fait l’expérience, ensemble ou séparément.

Dans cette histoire, Dorian a 18 ans. Plutôt que de vivre dans un petit studio, comme tous les étudiants, il loge dans une grande maison. Seul ? Pas vraiment. Selon toute probabilité, Dorian semble avoir quelques colocataires invisibles et envahissants. Le récit qui suit n’est pas juste une histoire de fantômes. C’est une histoire de précarité étudiante, et d’un jeune homme qui a vécu quatre ans dans une maison insalubre et invivable.

Avant toute chose : je ne crois pas aux fantômes. Je n’y croyais pas avant et je n’y crois pas maintenant. Ceci n’est pas à prendre comme le témoignage avéré de l’existence des spectres. Des gens se retrouvent dans des situations qu’ils ne peuvent pas expliquer et l’expriment en parlant de maisons hantées.

À la fin du lycée, en 2009, je vais entrer à la fac. L’appartement où je devais vivre a été loué deux semaines avant mon emménagement à Bordeaux. Dans l’urgence, mes parents ont appelé une connaissance : un immigré espagnol d’après-guerre, littéralement arrivé en France avec juste une valise. Toute sa vie, il a pris soin d’une dame âgée et à sa mort il a hérité de toutes les propriétés qu’elle possédait. Un de ses biens était inoccupé depuis 6 mois, alors plutôt qu’il le reste, il me le loue pour rien et moi je l’entretiens.

La maison abandonnée, qui fait tache à côté des autres du quartier.
Au milieu des maisons bien entretenues de la rue, celle-ci fait tache — Photo : Clémence Postis

La maison a un étage et la porte d’entrée se trouve sur le côté. Un petit jardin entoure le bâtiment, avec un garage séparé de l’habitation dont je n’ai pas les clefs. À l’architecture, tu sens que la construction existait avant la rue, il y a même un lavoir au milieu du terrain. Ne nous leurrons pas : à l’intérieur comme à l’extérieur, c’est la baraque de Fight Club. Quand j’ai vu la tête des murs et de l’isolation… Pas de double vitrage, pas de chauffage et pas de prise terre pour l’électricité.

Je visite la maison avec le propriétaire au mois d’août. Une porte battante aux carreaux opaques fait face à l’entrée. Il me prévient : « Il ne faut pas y aller, c’est la partie abandonnée. » Alors qu’on passe à l’étage, on entend une porte claquer. Le gars se retourne : « Tu es sûr que tu ne vas pas avoir peur, tout seul dans cette grande maison ? »

Premiers phénomènes étranges

Pendant le grand nettoyage de l’emménagement, je découvre des traces de sang dans ma chambre, dans le couloir, dans la salle de bain et dans l’escalier. De petites éclaboussures partout, parfois des empreintes de doigts à trente ou quarante centimètres au-dessus du sol. Un animal, une mauvaise chute ? Je trouverai la réponse à cette question bien plus tard.

Le premier truc bizarre s’est produit la nuit. Sur les coups de trois heures du matin, j’entends la poignée de la porte de ma piaule s’actionner et s’entrouvrir. Le bois travaille, j’ai dû mal la refermer et l’isolation n’est pas au top… Je me rendors. Le lendemain, je vérifie que tout est bien fermé avant de me coucher. À peu près à la même heure, je perçois à nouveau ce bruit de ressort remonté. La porte s’entrebâille… et c’est tout, rien de fou. Mais cela se reproduit presque toutes les nuits, vers 3 heures du matin.

Vous êtes bien au courant  : votre maison, c’est la maison hantée du quartier.

Ma petite amie dort chez moi de temps en temps, mais au bout d’un mois elle refuse de revenir. Vu qu’elle habite à Libourne, elle doit bien m’expliquer pourquoi. Elle me prévient tout de suite qu’elle ne sait pas si elle était à demi éveillée ou si c’était un rêve. En tout cas, elle n’a jamais vécu une expérience pareille. Sa première nuit dans la maison, un mouvement sur le drap l’a réveillée. Comme si quelque chose s’y était assis. Puis elle a perçu sur le parquet des bruits de pas s’éloigner et un son… ce n’était pas vraiment un rire, mais elle a eu un sentiment d’espièglerie.

Je veux bien me faire des films, mais je ne lui en ai jamais parlé. Je décide de bloquer l’entrée de ma chambre avec un gros fauteuil en fer. Dans la nuit, j’écoute la poignée s’actionner… puis la porte taper contre le siège. Elle ne s’est plus jamais ouverte après ça. Qu’elle s’enclenche toute seule, d’accord. Mais qu’elle arrête après avoir fait comprendre au « truc » que je ne l’accepte pas ?

Quand je suis à l’étage, j’entends du bruit au rez-de-chaussée. Des échos de vie : des chaises qui raclent le sol, les verres dans les meubles qui s’entrechoquent… Merde, au bout d’un moment ça gonfle ! Tu n’as pas envie de descendre pour voir. Il fait nuit, tu ne sais pas ce que tu vas trouver. Je me demande ce qui est le plus rassurant : tomber sur un fantôme ou sur un clochard. J’ai eu ma réponse un peu plus tard…

Fenêtre de la maison "hantée", qui semble la montrer à l'abandon.
La maison est définitivement à l’abandon depuis 2012 — Photo : Margot Delpech

Et les lumières… on ne parle pas assez des lumières qui s’allument et qui s’éteignent toutes seules. C’est Versailles chez moi. Je pars le matin avec les ampoules éteintes, le soir elles sont allumées. J’ai fini par coincer les interrupteurs sur position éteinte, mais rien à faire. Quand j’ai définitivement quitté la maison quatre ans plus tard, tout était encore éclairé.

Un jour, alors que je sors les poubelles, mon voisin m’interpelle. Il veut mon numéro de téléphone pour me prévenir si les choses dégénèrent avec les lycéens qui viennent se faire peur dans mon jardin. « Vous êtes bien au courant : votre maison, c’est la maison hantée du quartier. »

La confrontation

Il y a une partie abandonnée, un squatteur peut lui aussi vivre ici. Quelqu’un a trouvé une entrée, et passe sans que je m’en rende compte. Je ne dis pas « quelque chose », parce que pour moi il s’agit de quelqu’un de physique, et si je le croise je lui mets mon poing dans la gueule.

Un soir, je monte me coucher après avoir bien plaqué les chaises contre la table : le lendemain matin, elles ont bougé de place. Je commence à surveiller la nourriture dans le frigo : elle n’est pas consommée. L’argent aussi : je laisse ma monnaie en bas, et je compte chaque centime. Rien ne manque. Quelqu’un est chez moi, mais il ne pique ni la bouffe ni la thune. Il est juste là pour me faire chier. Je reste cloîtré dans la maison pour le retrouver, c’est un défi. Un soir, je prends mes clefs et je cloisonne toute la baraque. Pièce par pièce, je vérifie que personne n’est là et je ferme.

Je m’arme de mon katana et je me poste dans l’escalier, en face de la porte close de la cuisine, entre l’entrée et la partie abandonnée. Et j’attends dans le noir. Personne ne passe devant moi et rien ne s’ouvre. Pourtant, j’entends une chaise racler le sol et aller heurter un mur. J’essaie de me barrer, mais tout est fermé et comme un con je n’ai pas les clefs sur moi. Je remonte dans la chambre quatre à quatre, je colle le fauteuil devant la porte et j’y jette ce que j’ai de plus lourd. Je réfléchis à ce qui vient de m’arriver. Comme je n’ai pas d’autre mot pour le dire, j’en conclus que je vis dans une maison hantée. On fait quoi alors ? De grosses soirées.

Table à l'extérieur de cette maison hantée
Il se passe des choses aussi dans le jardin — Photo : Margot Delpech

Je parle à la baraque maintenant. Ça me fait du bien, je digère mieux le truc. Je la préviens des visites ou quand je monte : « Je vais dans ma chambre, c’est chez moi : on ne me casse pas les couilles. » Et bizarrement, rien ne se produit dans cette pièce. Je préviens la maison quand des gens arrivent pour une soirée. Un de mes amis ne me croit pas, alors je dis à la maison avant qu’il débarque : « Il y a un type qui vient, il est persuadé que je mens. Si un truc m’écoute, tu ne déconnes pas, ce soir ce n’est pas tranquille. »

Au moment de se coucher, on entend une chaise de la cuisine racler le sol et terminer contre un mur. Toute la nuit, c’est le bordel : les sièges, les pas, les verres… À travers la porte, on voit la lumière du couloir s’éteindre et se rallumer. Ce copain a fini par pleurer et supplier que ça s’arrête, mais ça ne s’est calmé qu’au matin. Bizarrement, on ne se parle plus depuis. Dommage, c’était un bon pote.

Il se passe aussi des choses dans le jardin. Un soir d’hiver, je décide avec des amis de jouer à cache-cache, avec l’extérieur autorisé. Mon pote Olivier et moi, on se planque ensemble derrière un arbre. Le reste du groupe cherche Louis à l’intérieur. Des pas crissent sur les feuilles mortes, à un ou deux mètres de nous. Je suppose que Louis a changé de cachette et qu’il est en train de passer tout près. À peine cette pensée est-elle finie que les autres hurlent dans la maison « Louis ! On t’a trouvé ! » Mais… du coup, qui était là ?

Violée et battue

En 2010, je me retrouve avec une « vraie » colocataire, une qui est vivante. Une amie que la baraque ne dérange pas emménage. Et on finit par comprendre que la maison ne veut pas de couples. J’avais déjà remarqué que les évènements étaient plus virulents quand ma copine — on s’est séparé depuis — venait dormir. Ma colocataire a observé la même chose avec son petit ami.

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« Ils lui ont cassé la gueule, l’ont violée et frappée à nouveau avant de la laisser pour morte. » – Photo : Margot Delpech

J’ai vécu quatre ans dans cette bâtisse et je n’ai jamais couché avec une fille. Qui a envie de se chauffer avec des chaises qui bougent toutes seules en bas ? Je préviens ma coloc : dans ma maison, on ne baise pas. Mais elle ne m’a pas écouté… Cet évènement est le plus violent qui se soit produit. Parce que les chaises qui se tirent c’est flippant, mais ce n’est pas menaçant. Un soir, je suis dans ma chambre, elle et son copain dans l’autre. Ils allaient passer aux choses sérieuses et… bam ! Un puissant coup dans le mur fait trembler mon lit.

J’envoie un SMS à ma colocataire : « C’est toi qui viens de faire ce bruit ? » ; « Non, on se demandait la même chose. » Je vais les voir parce que ce n’est pas très rassurant. Étrangement, aucune lumière n’est allumée, le noir est complet. En retournant dans ma chambre… je ne dirais pas que j’ai été poussé, mais j’ai senti quelque chose accompagner mon mouvement. Comme si l’air se vidait derrière moi dans le couloir.

Depuis mon emménagement, il y a deux ans et demi, je reçois le courrier de la locataire précédente. Au début, je le faisais suivre, mais la poste de Pessac a fermé. Alors je le mets dans un coin. Un jour, une lettre du Tribunal de Grande Instance arrive. Puis d’autres. Je finis par ouvrir ces courriers, et l’abandon de la maison et les traces de sang du premier jour s’expliquent.

Une femme vivait là. Son petit copain a débarqué un beau matin avec trois autres personnes. Ils lui ont cassé la gueule, l’ont violée et frappée à nouveau avant de la laisser pour morte. Tout ça dans ma chambre. Elle s’est ensuite traînée jusqu’en bas pour atteindre son téléphone, mais c’est finalement son fils qui l’a retrouvée en rentrant du travail. Ce que j’ai nettoyé à l’emménagement était le sang de cette femme qui a rampé dans la maison. Après ça, elle et son fils sont partis six mois avant mon installation.

Avec ma colocataire, on va à la mairie pour consulter les relevés de cadastres. Et découvrir que la baraque date des années 1920 et que dans les années 1950, un homme s’y est suicidé. Mais c’est tout ce qu’on a trouvé sur le sujet.

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« J’ai subi cette maison » — Photo : Clémence Postis

La dernière année, je ne vis pas beaucoup à la maison. Ma coloc a déménagé, et ma nouvelle petite amie refuse formellement de mettre les pieds chez moi. Donc je suis dix mois sur douze dans son appartement et les deux restants je suis dans le Médoc pour la saison. Sauf que je finis par être obligé d’y revenir : je me sépare de ma copine. Malheureusement, le retour à la réalité de la baraque est un peu violent. En plus des bruits, un cap d’insalubrité est franchi : il pleut dans la maison. Une nuit, un morceau de plafond me tombe dessus. Une autre, les éclairs bleus de ma multiprise en train de prendre feu me réveillent.

C’est la claque. Je comprends qu’en plus de mettre ma santé mentale en péril, cette baraque met ma santé tout court en danger. Je dois déménager. Comme je n’ai nulle part où aller, je vais crécher dans ma voiture quelque temps avant de finir sur le canapé d’un pote. Après avoir quitté cette putain de maison hantée, je n’ai jamais bougé d’objets sans m’en souvenir, je n’ai plus entendu de bruit ou de chaises qui bougent… Rien de ce qu’il s’est passé dans cette maison ne m’est arrivé depuis. Jamais.

Cette histoire ne m’a pas amené à croire aux fantômes, mais cela m’a fait remettre en perspective pas mal de choses. Sur ce qui peut nous dépasser et sur ces situations dans lesquelles tu ne peux que subir. Tu n’as pas d’autres choix. Et j’ai subi cette maison.

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
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