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Vendredi 19 juillet 2019
par Xan IDIART
Xan IDIART
Après avoir travaillé deux ans pour le site d'information Mediabask, je continue à écrire sur ma région natale, le Pays basque. Par le biais de mes articles, je souhaite démonter les clichés qui collent à la peau de ce territoire, et montrer qu'au-delà de l'image récurrente de carte postale, l'actualité politique, sociale et culturelle y est riche et passionnante.

Les autorités françaises accusent trois exploitants basques et un syndicat agricole d’avoir fait entrave à ses services sanitaires lors de la période de grippe aviaire il y a deux ans. Les prévenus, eux, s’en prennent à l’agriculture industrielle, grande responsable de la propagation des virus selon eux. Une procédure judiciaire est en cours au tribunal de grande instance de Bayonne.

Mardi 18 juin, 14 heures. Une centaine de personnes s’amasse devant les portes du tribunal de Grande Instance de Bayonne. Malgré une lourde chaleur, aucune d’entre elles n’a hésité à se déplacer pour soutenir un ami, collègue ou camarade de lutte, dans le énième épisode d’un feuilleton qui dure depuis deux ans maintenant. Jean-Michel Berho, Marc, Alain et Florence Lataillade, tous les quatre éleveurs de canards au Pays basque ainsi que Panpi Sainte-Marie, secrétaire général d’Euskal Laborarien Batasuna (ELB) -syndicat lié à la Confédération paysanne- comparaissent devant la justice. Motif de la convocation : avoir fait entrave aux services sanitaires de l’État en 2017, venus abattre par prévention des milliers de volailles en pleine période de grippe aviaire.

« À l’époque, si nous avions eu la certitude que ces animaux étaient malades, nous les aurions tués. Nous sommes des gens responsables » clame Panpi Sainte-Marie. De certitude, il n’y en avait pas, bien au contraire : les canetons de la première couvée, destinés au pilori, sont déclarés sains après une expertise vétérinaire réalisée par un laboratoire indépendant.

Les militants contre l'élevage industriel des canards, tenant une boîte avec des canetons, au palais de justice.
« C’est sûr, l’État est allé plus vite que le virus… Mais à quel prix  ? » – Source : ELB.

Problème : le tribunal ne juge pas la santé des canards, et le parquet requiert pour chacun des prévenus une amende symbolique de 500 euros ainsi que deux fois 2 000 euros pour le Couvoir de la Bidouze, appartenant à la famille Lataillade. Jean-Michel Berho, qui s’y approvisionnait, écoperait 450 euros d’amende, et ELB 2000 euros. De toutes ces contraventions, le syndicat est le seul à ne pas voir la sienne avec sursis.

Cordons d’opposants et gaz lacrymogène

Peu importe. « Ce procès est déjà une victoire pour nous », s’exclame Panpi Sainte-Marie. « On a montré qu’il est possible de s’opposer aux mauvaises décisions de l’État et d’éviter le pire. » Le pire, justement, c’est la fermeture des exploitations. Marc Lataillade pose le même constat: « Depuis la période de grippe aviaire, nous avons perdu plusieurs clients qui se fournissaient chez nous. Tous leurs canards ont été abattus, et certains d’entre eux ont préféré prendre leur retraite plutôt que de tout recommencer à zéro. » S’il existe bel et bien des indemnisations pour les exploitants, les obtenir relèverait du parcours du combattant selon les prévenus. Une des raisons pour lesquelles ils sont entrés en résistance sans hésitation.

S’opposer à l’ogre étatique n’est pas une mince affaire. Mais au Pays basque peut-être plus qu’ailleurs, l’agriculture paysanne a du sens. Et le 21 avril 2017 a fait date : dans les petites communes de Gabathe, Domezain et Barcus, plus de 500 personnes, agriculteurs solidaires, élus locaux ou simples citoyens se levaient dès l’aube afin de faire barrage aux agents de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), venus abattre des milliers de canards. Les heures défilent, la tension monte, et les opposants résistent.

À Gabathe, les CRS emploient la force et usent du gaz lacrymogène, sans succès : ce jour-là, aucun canard ne sera tué. Alors que dans tout le grand sud-ouest, au moins 4 millions de palmipèdes sont abattus par prévention, au Pays basque, les exploitations des Lataillade et de Jean-Michel Berho, mais aussi de Cathy Chabalgoity et de Bernadette Prebende ne plient pas. « C’est sûr, l’État est allé plus vite que le virus… Mais à quel prix ? », s’interroge Marc Lataillade. « Surtout que 90 % des animaux n’étaient pas malades », poursuit, outré, le secrétaire général d’ELB.

L’état de nécessité

Sans surprise, les avocats de la défense demandent la relaxe pour leurs clients. Au principe de précaution, eux invoquent l’état de nécessité reconnu par l’article 122-7 du Code pénal. En empêchant les abattages, les dégâts auraient été moins importants que s’ils avaient abouti. Le contexte très difficile de la profession est souvent mis en avant : deux à trois agriculteurs se suicident chaque semaine en France.

Les millitants contre l'élevage industriel des canards prennent la parole devant le Palais de Justice.
« Ce procès est déjà une victoire pour nous » – Source : ELB

« Nous, nous n’avons pas sauvé uniquement des fermes, martèle Panpi Sainte-Marie. Nous avons aussi préservé une race locale. » Les abattages préventifs auraient provoqué l’extinction de cette espèce, selon le syndicat ELB. Le couvoir de la Bidouze est un des derniers à travailler avec. Alors pour épargner ses canards et la race, la famille Lataillade propose à l’époque à l’adoption des milliers de palmipèdes. La campagne « adopte un caneton » fait fureur sur internet et dans les médias locaux. Des centaines de particuliers se portent acquéreurs pour recueillir les bêtes. « Sans eux, nous n’aurions jamais pu prouver que nos animaux n’étaient pas malades et que nous avions raison », se rappelle avec émotion Marc Lataillade.

Le procès de Bayonne n’est pas une première. Cathy Chabalgoity, une des « récalcitrantes », a déjà été convoquée en novembre dernier par la justice au tribunal de Grande Instance de Pau pour les mêmes raisons. Sa participation active au mouvement de résistance n’ayant pas pu être formellement prouvée, elle a finalement été relaxée. Dans chaque cas, les comités de soutien s’étaient positionnés sur la voie publique : si les services vétérinaires ne peuvent pas passer, ce n’était donc pas du ressort des éleveurs. Les exploitants jouent avec cette ambiguïté, tandis qu’ELB endosse l’entière responsabilité des rassemblements.

Cette relaxe est une première pour Panpi Sainte-Marie et ses avocats ainsi qu’un motif d’espoir pour les prévenus actuels. Leurs réquisitions sont d’ores et déjà moins lourdes que celles demandées à Pau, où trois mois d’emprisonnement avec sursis avaient été exigés par la procureure. ELB espère y voir un premier recul de l’État : le syndicat avait écopé de plus de 7000 euros d’amendes au premier procès.

L’essor de l’agriculture paysanne

Car le procès de ces éleveurs n’est pas une action judiciaire ordinaire. À l’heure des crises sanitaires à répétition, et alors que la grippe porcine menace la France depuis plus d’un an, la résistance de ces petits exploitants interroge. ELB et la Confédération Paysanne profitent d’être placés sur le banc des prévenus pour faire à leur tour le procès de l’agriculture industrielle. Celui des circuits longs, des millions de canards entassés les uns sur les autres sans voir la lumière du jour, des camions qui circulent de « fermes usines en fermes usines »…

Ces « petits » éleveurs et ELB ne font donc pas que s’opposer à l’État. Ils le remettent en cause dans la gestion des crises sanitaires.

Un modèle agricole qui est, à leurs yeux, le seul responsable de la propagation des virus et que l’État l’encouragerait : « La grippe aviaire existe depuis des millions d’années, assure Panpi Sainte-Marie, mais l’industrialisation de l’agriculture favorise sa propagation. » Les fermes en autarcie, avec des animaux élevés, nourris et abattus sur place, auraient au contraire moins de risques de contracter des maladies.

Ce discours a fait son petit bout de chemin depuis plusieurs années maintenant. Au Pays basque, ELB clame avoir obtenu la majorité des votes lors des élections syndicales de début d’année. Certes, la Fédération départementale des syndicats d’exploitations agricoles (FDSEA) lui dispute ses chiffres, mais les faits sont là : de plus en plus d’élus locaux défendent l’agriculture paysanne. Lors du premier procès à Pau, Michel Etchebest, maire de Mauléon et vice-président de la communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB) est entendu comme témoin de la défense.

En janvier dernier, le président de l’institution et maire de Bayonne Jean-René Etchegaray prononçait un discours en faveur des petits exploitants lors de l’Assemblée générale de la Chambre d’agriculture du Pays basque. Ce 18 juin, c’est au tour de Martine Bisauta, vice-présidente de l’agglomération en charge de la transition écologique et énergétique d’apporter son soutien aux prévenus. Ces « petits » éleveurs et ELB ne font donc pas que s’opposer à l’État. Ils le remettent en cause dans la gestion des crises sanitaires. De la résistance à l’action, il n’y a qu’un pas. Eux l’ont bien compris.

Xan IDIART
Après avoir travaillé deux ans pour le site d'information Mediabask, je continue à écrire sur ma région natale, le Pays basque. Par le biais de mes articles, je souhaite démonter les clichés qui collent à la peau de ce territoire, et montrer qu'au-delà de l'image récurrente de carte postale, l'actualité politique, sociale et culturelle y est riche et passionnante.
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