Sylvie Berger est ouvrière dans les vignes et a toujours connu la précarité. Aujourd’hui, elle connait la maladie et lutte avec son ancien employeur pour faire valoir ses droits et ceux de ses collègues.

Je vois défiler ce paysage gris et pluvieux à travers la vitre du train. Depuis la gare de Bordeaux, plus je m’enfonce vers les terres médocaines, plus les marécages gagnent du terrain. Voilà près d’un an que je n’ai pas remis les pieds dans ce Bordelais que j’ai sillonné en voiture des semaines durant pour écrire « Les Raisins de la misère ». Me revoilà donc, aux abords de cet estuaire de la Gironde, tant de fois contemplé entre deux rendez-vous, passant d’une famille marocaine précaire de Pauillac au récit d’un travailleur de la vigne d’un grand château classé. Cette fois, je reviens avec mon livre sous le bras à la rencontre des lecteurs, dans une librairie de Soulac-sur-Mer, située à la pointe nord du Médoc.
Parue début octobre, l’enquête décrit les coulisses peu reluisantes d’un système établi de travail précaire très favorable aux propriétaires des châteaux viticoles. Les témoignages ont commencé à affluer par le biais des réseaux sociaux. La veille, une femme prénommée Sylvie avait posté ce petit message laconique sur ma page Facebook : « Demain dir Soulac qui résume ma vie dans les vignes du Médoc avec ces pesticides=parkinson=souffrance et le mépris du beau monde viticole ». Je ne la connaissais pas. Lorsque j’arrive à la Librairie de Corinne, je la cherche parmi les présents. Elle s’installe sur une chaise, près de la sortie, son manteau sur les genoux. Je commence à parler du livre, de sa genèse et puis l’échange avec les lecteurs s’oriente vers les conditions de travail.

Cette petite dame toute menue, la voix fluette, prend la parole : « J’ai été intoxiquée dans un rang de vigne. Aujourd’hui, j’ai la maladie de Parkinson et je suis en arrêt de travail », dit-elle devant la petite assistance médusée. C’est elle : Sylvie Berger, 47 ans, ouvrière de la vigne depuis une vingtaine d’années. « Les femmes sont préposées aux travaux les pires. Je ne gagnais pas plus de 700 euros par mois dans le Cognaçais. Quand je suis arrivée dans le Médoc, les salaires étaient aussi faibles. » Son histoire, au fond, c’est celle du pot de terre contre le pot de fer.
« Je viens d’un monde précaire »
Fille d’éleveurs de vaches limousine en Charente, Sylvie a grandi chichement dans cette petite exploitation, où ses parents s’échinaient. Comme une évidence, elle suit une formation agricole. Mais trouver un emploi n’est pas aisé. Lorsqu’elle se marie, elle rejoint son mari à Jarnac où toute la famille est employée par le Château Tiffon-Braastad, propriété d’un négociant norvégien en cognac et en pineau. Sa belle-mère, esquintée aux épaules et aux mains, est arrêtée. Sylvie la remplace. « Le matin, j’étais aide ménagère chez les actionnaires du château, l’après-midi, je travaillais dans les vignes. L’hiver, au prix fait et l’été en CDD. »
Son mari, lui, était chef de culture en CDI dans une petite propriété productrice de cognac. À la naissance de leur deuxième fils, Sylvie n’a d’autre choix que de prendre un congé parental. Là, l’administration du château lui assure qu’elle n’est pas enregistrée chez eux. « Ils ont essayé de me faire partir sans rien, mais je ne me suis pas laissée faire. Je ne connaissais pas ce monde de la vigne. Quand j’ai voulu négocier mon départ, on m’a bien fait comprendre qu’il ne fallait pas trop revendiquer sinon je ne trouverai plus jamais de travail. »
Cet article est réservé aux abonnés. Déjà abonné ? Se connecter
Nous avons besoin de 1 000 nouvelles souscriptions pour continuer à exister.
Découvrir nos offres d’abonnement