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Jeudi 16 août 2018
par Alfred REY et Bastien MARCOU
Alfred REY
Apprenti journaliste pluri-média qui cultive sa curiosité. Alfred est également passionné de sport. Ex-stagiaire au Figaro et Sud-Ouest.
Bastien MARCOU
Étudiant en journalisme pluri-média. Bastien est passionné de sport et particulièrement de rugby.

Si l’activité de travailleur du sexe s’émancipe en France depuis quelques années, les préjugés ne changent pas pour autant. Au Strass (Syndicat du travail sexuel), on accompagne les travailleurs du sexe, mais cela n’est-il pas un frein auprès des employeurs en vue d’une reconversion ? Mylène Juste, secrétaire général du syndicat répond à nos questions.

Travailleur du sexe, est-ce une activité durable ? 

Oui. J’en veux pour preuve mes collègues traditionnelles de Strasbourg Saint Denis. Certaines ont commencé à 20 ans et continuent aujourd’hui à 70 ans, elles sont en forme justement parce que cette activité leur a apporté auto discipline et résistance. Du point de vue féministe, le fait de continuer à gagner sa vie de manière autonome, et plaire après 50 ans, peut être un facteur de maintien dans la vie active, de continuité dans les rapports humains, de séduction qui déconstruit les mensonges sur la longévité et la construction du profil victimaire des personnes exerçant les métiers du sexe.

Vous pourriez me rétorquer qu’elles continuent si tard parce qu’elles n’ont pas le choix, mais je vous répondrais que ce n’est pas vrai pour toutes. Bon nombre d’entre elles ont élevé leurs enfants, autonomes maintenant, et se sont constituées un capital immobilier ou en assurance qui leur permet de financer leur retraite. Ou vivent même en couple, mais continuent à vouloir être autonomes financièrement.

Quelles sont les raisons les plus fréquentes des travailleurs du sexe qui souhaitent stopper leur activité ?

La principale est une rencontre amoureuse. Souvent, le conjoint ou la conjointe ne souhaite pas construire une vie autour de cette activité. Ensuite, si les travailleurs du sexe se retrouvent devant une opportunité professionnelle plus intéressante, ils n’hésitent pas. La dernière raison, un peu moins fréquente, c’est les problèmes de santé. Ils peuvent se fatiguer rapidement et n’ont pas souvent l’énergie de travailler avec leur corps, qu’ils veulent préserver avant tout.

Nous sommes dans une lutte intersectionnelle où notre population englobe toutes les personnes les plus stigmatisées.

Aidez-vous les travailleurs du sexe à se réorienter une fois leur activité terminée ?

Oui, on les oriente vers les organismes compétents pour des démarches d’orientation ou d’ordre social.
Mais notre principal objectif est de défendre les droits effectifs et fondamentaux (qui sont en l’occurrence bafoués) des personnes exerçants. Il y a beaucoup à faire à ce niveau, tous les jours. Or les personnes qui nous contactent ne s’adressent pas à nous pour ces démarches. Mais on peut les orienter vers les organismes compétents qui ont bien plus de moyens que nous, car nous n’avons pas de subventions provenant du gouvernement français.

Trouvent-ils facilement du travail après avoir été travailleurs du sexe ?

Comme pour toute personne, dans tout secteur d’activité, lorsque vous opérez un changement de cap et d’activité professionnelle, la réussite dépend de votre motivation et de votre capacité à pouvoir rebondir et vous adapter ; les travailleurs du sexe n’échappent pas à ces difficultés.

Le problème supplémentaire, par rapport aux autres activités, est la construction d’un discours à cause de la stigmatisation. Quand vous rédigez votre curriculum vitae pour une candidature, vous évitez la plupart du temps d’annoncer la nature de votre activité au statut de travailleur (se) indépendant(e). Sur un CV, travailleur ou travailleuse du sexe est encore moins « vendeur » qu’un nom à consonance étrangère.

Nous sommes dans une lutte intersectionnelle où notre population englobe toutes les personnes les plus stigmatisées : LGBT, migrantes, racisées, malades, non diplômé(e)s. Donc on sait de quoi on parle en termes de stigmatisation et rejet.

Jeu d’ombre et de lumière — Karl via Unsplash

Leur expérience de travailleur du sexe est-elle un frein pour leur recherche d’emploi ?

Il y a aussi le facteur environnemental. Lorsque vous travaillez à votre compte et seule avec une solidarité plus forte que dans d’autres secteurs — une solidarité renforcée par la difficulté législative, sociétale et sociale, vous pouvez effectivement vous sentir en décalage dans le monde du travail « classique ». Pourtant, même si certains employeurs sont réticents à engager d’anciens travailleurs du sexe, cela peut éventuellement faire l’effet inverse : ils peuvent apprécier cette force et motivation ou l’originalité du profil, mais cela reste hasardeux.

Sur un CV, travailleur ou travailleuse du sexe est encore moins « vendeur » qu’un nom à consonance étrangère.

Certains emplois sont-ils in-envisageables pour d’anciens travailleurs du sexe ?

Je ne vois pas en quoi les travailleurs du sexe ne pourraient pas accéder à un emploi, sauf leurs limites personnelles comme pour tous. Il est vrai que c’est compromis pour certains métiers assermentés avec recrutement strict, et si son activité de travailleur du sexe a été déclarée en laissant des traces dans les organismes sociaux. Nous avons des témoignages de personnes ayant été licenciées ou pénalisées en dévoilant leur ex-activité de travailleur du sexe ou une activité de travailleur du sexe occasionnelle, la plupart du temps dans la fonction publique.

Entretien réalisé en partenariat avec les étudiants en journalisme de l’EFJ.

Photo de couverture : Warren Wong via Unsplash

Alfred REY
Apprenti journaliste pluri-média qui cultive sa curiosité. Alfred est également passionné de sport. Ex-stagiaire au Figaro et Sud-Ouest.
Bastien MARCOU
Étudiant en journalisme pluri-média. Bastien est passionné de sport et particulièrement de rugby.
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