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Vendredi 19 juin 2020
par Alban Dejong
Alban Dejong
28 années désormais. Une partie passée dans le Sud-Ouest, une autre dans le Nord, avec ici et là des cursus avortés, un Lycée mal fichu, un collège médiocre et une enfance pas assez immature. Un premier épanouissement dans le sport de haut-niveau, puis la défaite et la rentrée dans le monde universitaire avec ses premières difficultés. À Toulouse, en faculté de sport, par proximité avec mon activité sportive, après un baccalauréat scientifique arraché durant la session de rattrapage. Cette partie de ma vie, en trompe l’œil, m’égare, me rapproche un peu plus de mes passions, vouées aux histoires, à la finesse du récit littéraire et filmé, aux grands reporters, aux documentaires, au journalisme, aux autres. Je reprends, à Clermont-Ferrand, un cursus d’histoire. L’idée germe, j’aimerai être journaliste. Seconde partie à Lille, j’ai 23 ans. À 24 ans, j’achète mon premier appareil photo. Je ne sais toujours pas si je serai reporter. Mais si je dois l’être, cela sera par la caméra. Mes premières une, Libération, L’Humanité, via l’agence Abacapress, sont une bouffée d’air. Je reprends mon souffle et me replonge, plus que jamais, dans les histoires, celle des autres.

La crise du coronavirus a mis en lumière des dizaines de métiers jusqu’alors relativement invisibilisés. Comme si, soudain, le monde prenait conscience de leur importance de leurs acteurs : caissiers, magasiniers, livreurs, aides à domicile (…), une liste presque aussi longue que le confinement. Mais d’autres, bénévoles cette fois, s’inscrivent également dans cette liste des « héros de la pandémie ». Ces hommes et ces femmes, qui se sont relayés jour et nuit auprès des plus vulnérables ont tous quelque chose en commun : un engagement sans faille auprès des autres. Le photographe Alban Dejong est parti à leur rencontre pour Revue Far Ouest.

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KIKO : AU SERVICE DES AUTRES À LA ZONE LIBRE DE CENON

La crise de 2008 a bouleversé le quotidien de millions de personnes. C’est à cette époque que Kiko, alors en Espagne, a choisi la voie du squat. Devenu clown dans le milieu éducatif, il a posé ses bagages à Bordeaux il y a 6 ans. Depuis, il s’est engagé dans l’accompagnement des familles installées dans un ancien Ephad de Cenon, la Zone libre. Un lieu qui rassemble aujourd’hui 300 personnes — dont 115 enfants — et dont la préfète de la Gironde, Fabienne Buccio, a ordonné l’évacuation le 11 juin dernier.

Kiko, l'un des bénévoles qui tient le squat la Zone libre à Cenon, assis dans un fauteuil.

Quand le confinement a débuté, nous nous sommes trouvés face à un manque de bénévoles, principalement à cause de l’impossibilité de se déplacer. Alors je suis devenu un peu le référent sur la Zone libre. Ce fut très compliqué au début : tout d’abord parce qu’il fallait faire prendre conscience aux résidents de la gravité de la situation, mais également parce que l’angoisse de la pénurie alimentaire planait. Nous avons réuni l’ensemble des personnes sur place, nous avons discuté ensemble. Une certaine autonomie s’est de suite mise en place, notamment sur les moments de distribution.

Nous avons mis en place des référents dans chaque bloc, qui devaient faire des bilans des besoins au sein de leur zone. La méfiance s’est progressivement estompée. Il y a évidemment eu quelques tensions, de la peur, mais la solidarité a été plus forte. Médecins du monde sont venus chaque semaine pour mettre en place des contrôles sanitaires.

Ce confinement a été un stage intensif d’apprentissage culturel, de médiation sociale, de tout, en fait. C’est comme un petit village, ici. Le problème, c’est le préjugé, la crainte, que beaucoup nourrissent pour ce lieu. Mais il faut venir voir la réalité. Cela permet de casser les préjugés.

ADELINE : FABRIQUER DES MASQUES, VITE

Metteuse en scène, danseuse et comédienne, Adeline est arrivée à Bordeaux il y a maintenant 12 ans. Danseuse tzigane dans la compagnie Romano Dji, et dirigeante de la compagnie du Réfectoire — un théâtre contemporain destiné à un jeune public — elle a vécu le confinement comme un enfermement ; une situation qui l’a conduite à se tourner vers l’autre.

Adeline à côté de tissus avec lesquels elle fabrique des masques.

Plus d’activités. Il y avait un dégagement de temps, teinté d’angoisse. Si le monde des possibles semblait s’ouvrir au début, au bout de quatre jours, cela s’est transformé pour moi en piétinement. C’était cela, la réalité du confinement, quelque chose qui n’était pas naturel. Est venu rapidement le besoin de recréer du lien. Parallèlement, les problématiques liées au manque de masques sont apparues. Dès la première semaine, je faisais déjà des masques, alertée par une amie travaillant dans un centre hospitalier.

Puis certaines personnes ont commencé à discuter sur les réseaux sociaux, à se soutenir, à lancer des appels pour des masques. Savoir quel modèle, quel patron de masque était efficace a été une tâche compliquée, d’autant que tout changeait rapidement.

Mais, quoi qu’il en soit, malgré les doutes, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose : c’était du bon sens, au moins pour se protéger des postillons. D’autant que c’était également un moyen de casser cet isolement. Il y a eu de la solidarité, pour faire des masques, pour trouver des élastiques, du tissu, pour les livrer… Tout cela a brisé mon enfermement. J’avais la sensation de ne plus être seule, durant ce moment où tout le monde avait peur de l’autre. Le confinement avait l’allure d’une perte du temps ; ce geste solidaire, c’était une manière aussi de rattraper ce temps qui paraissait perdu.

ANASTASIA : ROMPRE LA FAIM DANS LES CAMPS

En première année de master, Anastasia 27 ans, s’est mobilisée pendant le confinement via l’association Les enfants de Coluche. Une première pour la jeune femme, qui a dès lors participé à de nombreuses distributions alimentaires dans les squats.

Anastasia devant une fenêtre.

Si j’ai décidé de m’investir durant ce confinement, ce n’était pas pour occuper mon temps libre : avec mes études, je ne manque pas de travail. Mais je me suis dit qu’au moment où la ville n’a jamais été aussi angoissante, dépeuplée, il fallait que je m’investisse. Les manques étaient énormes. Manque alimentaire, manquements sanitaires et peut-être surtout un manque de considération pour les précaires. Ce sont des personnes qui ont été complètement laissées de côté pendant le confinement. Des invisibles, qui restaient invisibles.

Nous étions une vingtaine de bénévoles. Nous nous rendions le matin à la banque alimentaire, afin de récupérer les denrées à redistribuer. C’était tous les jours des aller-retour entre la Banque alimentaire et le lieu de stockage, où nous organisions la répartition des produits. Cela a été un effort logistique énorme, avec la crainte de ne pas les répartir équitablement. Les recensements de Médecins du Monde nous ont aiguillés, bien sûr, mais c’était malgré tout difficile, certains squats à Bordeaux rassemblent des centaines de personnes.

FRÉDÉRIC : LES ANIMAUX AUSSI

Après 7 années passées à la rue, c’est l’attention et le soutien d’un couple qui a permis à Frédéric de sortir de sa vie d’errance. Un nouveau départ. Il y a deux ans, il a créé son association Croquette et Macadam, avec laquelle il se charge de proposer de la nourriture aux animaux de celles et ceux qu’ils croisent dans la rue.

Frédéric avec son chien, qui distribue des croquettes pour les animaux.

Ce confinement, quand on a connu la rue et sa liberté, c’était un enfermement difficile pour moi. Mais également, pour notre association, la peur de ne pas pouvoir accompagner nos bénéficiaires. Ce confinement a privé les sans-abris de cette sociabilité essentielle. Nous nous servons des animaux pour réussir à créer du lien. Quand on est à la rue, un sourire ou une discussion, c’est très précieux.

L’angoisse, elle était palpable. Les sans-abris n’avaient pas de réponses concrètes à leurs interrogations, à part celles que leur apportaient les associations. Une équipe d’une quinzaine de bénévoles nous a aidés. Cela nous a permis de réaliser 3 maraudes par semaine, avec 48 kilos de croquettes livrés de manière hebdomadaire.

Il faut que la population bordelaise prenne le temps de voir ces personnes, de discuter avec elles, de leur tendre la main. Je comprends la crainte de franchir le cap, mais ce sont des accidentés de la vie ; échanger avec elles, cela peut permettre de comprendre aussi à quel point tout peut aller très vite. Moi, je me suis retrouvé dans la rue en une semaine, par exemple. Et aussi, que, malgré tout, ce n’est pas impossible de s’en sortir.

ELSA : FAIRE CORPS

Elsa a contribué ces dernières années à la création d’une antenne de SOS Méditerranée à Bordeaux, ainsi qu’à celle du Collectif Bienvenue. Avec ces derniers, elle tente de récolter via des événements artistiques, de nouveaux fonds pour SOS Méditerranée, tout en sensibilisant la population aux problématiques liées aux phénomènes de migrations.

Elsa dans l'ombre des rideaux de la fenêtre.

Mon activité professionnelle s’est arrêtée nette, comme celle de l’association. Pour autant, nous avons mis en place des capsules de témoignage et de sensibilisation pour la récolte de fonds, et avons décidé d’agir sur le plan local face à la crise sanitaire du Covid. Les personnes du collectif étaient déjà bien impliquées dans les squats, que cela soit dans leur gestion au quotidien ou encore pour l’accompagnement aux personnes. Un partenariat avec l’Eco caserne de Darwin a été mis en place avec comme finalité la création d’une plateforme de distribution.

S’impliquer dans cette urgence était une évidence pour moi. Quand on connaît cette réalité, et que nous avons le temps et les moyens d’aider, alors il faut le faire. C’est tout. Pendant cette période-là, je me suis encore plus engagée, j’en avais le temps. Et je ne vois même pas cela comme un acte de charité. Aider l’autre, c’est naturel.

Avec le déconfinement, tout cela s’évapore peu à peu, les dons s’essoufflent, les actions vont en s’atténuant et toute cette réalité va redevenir moins palpable, un peu comme une zone grise, celle de l’indifférence. Cette crise a peut-être aussi révélé les manquements du monde associatif, particulièrement la multiplicité d’associations et le manque de communication entre elles. J’aimerais que nous fassions tous corps, c’est même une nécessité.

GAMZE, TENDRE LA MAIN

Gamze, 25 ans, est native du quartier des Aubiers, à Bordeaux. Durant le confinement, cette jeune étudiante en droit a tenté de faire perdurer l’activité de son association Tendre la main. Alors qu’elle travaillait jusqu’alors sur la mise en place de services diversifiés aux personnes dans le besoin, elle a dû s’adapter aux nouvelles mesures liées à la crise sanitaire.

Gamze, bénévole de Tendre la main, assise sur un fauteuil.

Nous sommes une dizaine de membres actifs dans l’association. Nous tâchons de répondre aux besoins de celles et ceux qui sont en grande précarité. Tout ce travail est rendu possible grâce aux récoltes de fonds et par les dons que nous recevons.

Pendant le confinement, cela a été bien plus compliqué pour nous d’assurer nos livraisons quotidiennes. Nous nous sommes organisés différemment. Un de nos bénévoles lançait une alerte, nous la faisions tourner sur nos réseaux. Ensuite, nous recentrions les dons à proximité des personnes en demande, de manière à limiter au maximum les déplacements.

Nous devrions tirer des leçons de cette crise du covid-19. Il n’y a jamais eu de risque de pénurie alimentaire pour la population, pourtant nous nous sommes rués dans les rayons des magasins. Les gens dans la rue, eux, connaissent la pénurie tous les jours et le risque sanitaire est pour eux une réalité quotidienne. Aux Aubiers, la galère, on connaît. Cela nous aide à comprendre celle des autres. Je souhaite vraiment que confinement ou pas, on pense à ces gens-là, que le soir dans nos chambres, nous pensions à quel point nous sommes chanceux d’avoir un lit.

JULIEN, VISIÈRE MODERNE

Julien est coordinateur au Garage Moderne, un lieu associatif où les adhérents viennent réparer leurs véhicules, assistés par des mécaniciens professionnels. Dès le début du confinement, avec ses comparses, il a mis en place l’opération « Visière moderne », un atelier artisanal de création de protections.

Julien dans son atelier où il confectionne des visières.

Nous avions tout le matériel à disposition pour créer ces visières. J’ai commencé à en fabriquer pour des médecins, avec des designs qui correspondaient à leurs attentes. Tous les modèles que j’ai pu utiliser n’étaient pas homologués, mais au vu de l’urgence de la situation, des professionnels de santé les ont validés. Les 1300 premières visières ont été fabriquées avec de la récupération et grâce aux compétences des bénévoles.

Cette démarche a nécessité de la main-d’œuvre et des outils spécifiques, notamment une découpe laser. Elle nous a été mise à disposition par une microentreprise voisine. Ensuite, nous avons reçu l’aide de beaucoup d’associations du quartier, qui avaient des forces vives et qui ne savaient plus trop comment les mobiliser. Ce n’était pas possible de rester les bras croisés, avec tout ce dont nous avions à notre disposition, et surtout avec le tissu associatif énorme du quartier. Je crois que c’est cela, faire société : entreprendre des initiatives qui permettront aux gens d’être acteurs de la situation.

LILA : SAUVE-TOI, ON SERA LÀ

Lila, 24 ans, est une des activistes du mouvement Collage féministe Bordeaux. Si le confinement a contribué à raréfier leurs actions de collages, Lila et ses camarades ont poursuivi leur engagement auprès de celles qui subissent des violences conjugales, en mettant notamment des appartements à disposition, via leur réseau.

Lila devant un collage qu'elle a fait : "sauve-toi, on sera là".

Initialement, nous n’avions pas vocation à aider sur le terrain : l’assistance à personne en danger est un métier qui ne s’improvise pas. Pour autant, cela s’est imposé à nous durant cette période. Nous avons dû trouver des solutions aux violences conjugales, qui ne sont pas arrêtées avec le confinement, bien au contraire. En fait, nous avons été de plus en plus sollicitées, tout au long de cette période. Et si Marlène Schiappa a débloqué des logements, c’était pour les conjoints violents, pas pour les femmes elles-mêmes. Ce qui en dit long pour nous, sur l’incompétence de ce secrétariat.

Je suis venue en aide à une mère avec trois enfants ; les deux plus petits étaient ceux de son conjoint violent. La problématique, avec le dispositif mis en place par la police pendant le confinement, c’est que le conjoint violent ne restait qu’éloigné du domicile que pendant 24 heures, et qu’il repartait dans le foyer familial après sa garde à vue. La solution la plus efficace restait l’extraction de la victime et sa mise à l’abri dans un de nos appartements.

Nous pressentions dès janvier cette augmentation de violences conjugales liées au confinement. Mais rien de concret n’a été mis en place par les pouvoirs publics. Il y avait des dispositions à prendre en amont, cela n’a pas été le cas.

AVEC MARIEN, DARWIN MOBILISÉ

Marien, urbaniste de formation, a intégré l’Écosystème Darwin au début du confinement. En relation avec de nombreuses associations, il a contribué à mettre en place une plateforme de distribution pour les oubliés du confinement, particulièrement ceux qui vivent en squat.

Marien au centre de Darwin, à Bordeaux, a coordonné les actions de bénévoles.

Dès le début, nous avons mis en place des travaux d’aménagement, afin de pouvoir libérer de l’espace sur Darwin. Immédiatement, nous avons accueilli plusieurs personnes à la rue accompagnées d’animaux. En parallèle, une petite équipe s’est montée pour aller plus loin, notamment en mettant à disposition notre restaurant, nos denrées et le personnel bénévole, avec le soutien de nombreuses associations, en particulier le Collectif Bienvenue.

Ensuite est venu le temps de la livraison. C’était une tâche immense, que nous avons affinée logistiquement semaine après semaine. L’enjeu était de livrer de la nourriture et des biens de première nécessité pour environ 1400 personnes en situation de précarité extrême. La réalité, c’est que dans une des villes les plus riches de France, des gens auraient pu mourir de faim pendant ce confinement.

Ce moment de solidarité a aussi été une prise de conscience brutale. Si je n’avais pas été confronté à cette société extrêmement inégalitaire, je n’aurais pas pu me rendre compte de l’urgence de la situation, même si j’étais déjà impliqué dans la fondation Abbé Pierre. C’était une vue de haut, socialement. L’enseignement, c’est qu’il faut absolument se rapprocher du terrain pour saisir l’ampleur de ces situations de grande précarité. L’activité économique de Darwin a repris, j’espère pouvoir faire perdurer cet élan de solidarité à l’heure du déconfinement. Une perspective qui me rassure.

NELLY : DES CROIX BLEUES À L’URGENCE DE LA RUE

Nelly, infirmière libérale de 43 ans, faisait partie du noyau dur des Croix bleues à Bordeaux durant les manifestations des Gilets jaunes. Avec l’arrêt momentané des manifestations, elle s’est tournée dès les premières heures du confinement vers l’assistance aux personnes les plus démunies, au sein du Collectif de Secours et Orientation de Rue, créé depuis maintenant un an.

L'une des bénévoles de Croix bleues, Nelly avec son t-shirt "croix bleues" sur la Place de la Victoire.

Les manifestations étant à l’arrêt, avec un petit groupe, je me suis rapprochée, de plusieurs associations, dont Graines de solidarité, afin de mettre à profit nos compétences.

Le confinement, c’était aussi une augmentation des soins et de l’encadrement sanitaire. Nous avons assisté par exemple l’association les enfants de Coluche, lors de distributions de nourriture dans les squats de la métropole. Nous, notre rôle, c’était de mettre en place les protocoles et les gestes barrières.

Sur les maraudes, nous nous sommes organisés en brigades, avec un total de 30 à 40 bénévoles. Cela passait par du soin basique, de la plaie bénigne jusqu’à l’orientation médicale, en déléguant parfois vers d’autres entités plus compétentes. Ce qu’il faut bien saisir, c’est que le quotidien de la rue n’a pas été vraiment bouleversé par le confinement. Ces situations de détresse sont quotidiennes, et il ne faut pas l’oublier avec le déconfinement.

RENAUD, AGIR EN DIRECT AUPRÈS DES DÉMUNIS

Bordelais depuis 7 ans, Renaud a été frappé par l’abandon des sans domicile fixe dans les rues de la ville. Pour apporter une réponse à cette situation, cet ingénieur commercial s’est organisé afin d’apporter repas et nourriture à celles et ceux qui en avaient cruellement besoin.

Renaud avec son vélo près du pont de pierre.

Pendant le confinement, par hasard, j’ai commencé à discuter avec un sans-abri rue Sainte-Catherine. Il vivait une situation d’extrême solitude : impossible de faire la manche, aucune consigne sanitaire, il était comme ses camarades d’infortune complètement livrés à lui-même. C’était les tout premiers jours du confinement. J’ai décidé avec ma femme de créer une cagnotte en ligne pour apporter à ces personnes en détresse de la nourriture. Toutes ces maraudes-là, je les ai réalisés seul, avec l’aide des dons. Désormais, je fais partie du collectif #Poureux, et nous organisons de la livraison de nourriture à vélo pour les plus précaires.

J’ai essayé d’avoir une fréquence d’une à deux fois par semaine. Étant en télétravail, avec mes enfants à la maison, c’était compliqué de faire plus. Ce n’est pas la maraude en elle-même qui prend du temps, mais davantage l’aspect logistique qu’il y a derrière.

Il y a eu de la rage. Entre les discours à la télé et la réalité de la rue, j’ai ressenti de la haine. Si l’État avait voulu régler le problème, il l’aurait fait. Je crois que la solution, elle provient des associations qui se substituent à l’État. Il faut plus de structures de la société civile. Et pas seulement pour ce genre de questions : je pense également à l’éducation. De plus en plus de structures se sont créées parallèlement et c’est tant mieux. Mon engagement n’était pas une activité héroïque, chacun a quelqu’un autour de lui à qui il peut donner. Ce sont des choses simples. Et de faire tout ça, cela m’a aidé à apaiser cette colère.

VIRGINIE : RÉCUPÉRER ET REDISTRIBUER

Arrivée à Bordeaux en 2011, Virginie fait partie de l’association « Les gratuits », fondée par Cecilia Fonseca il y a deux ans. Elle a réalisé de nombreuses maraudes pendant le confinement.

Virginie, bénévole de l'association "les gratuits", à côté des travaux de la place Gambetta.

L’association « Les gratuits » part du constat qu’il faut récupérer tous les produits qui sont bien souvent jetés. Cela va du simple biscuit aux produits d’hygiène à disposition dans les hôtels. La crise du Covid nous a poussés à faire évoluer cette démarche, en proposant encore plus de maraudes alimentaires.

Ce confinement a eu pour conséquence de geler tous nos points de collecte. Nous avons donc dû nous charger de récupérer et de stocker nous-mêmes dans nos logements respectifs une partie de ces denrées. Malheureusement, tous ces dons, même s’ils étaient nombreux, n’étaient pas suffisants. La demande dans la rue était énorme. Résultat, nous avons aussi dû nous fournir à la banque alimentaire.

Nous avons bien sûr alerté autant que possible les pouvoirs publics face à cette explosion de la demande. Le département a mis à disposition une cuisine centrale, qui s’est occupée de réaliser des barquettes de plats avec les denrées récupérées dans les cantines scolaires alors fermées. Tout ça nous a permis de réaliser trois maraudes par semaine, alors qu’auparavant, nous ne pouvions en réaliser qu’une seule. La demande était d’autant plus importante qu’elle ne concernait pas que les sans domicile fixe, mais également ceux qui n’avaient plus de quoi se nourrir.

C’était une période paradoxalement révélatrice. Pour certaines familles qui étaient déjà en situation de précarité, le confinement a eu un effet dévastateur. Tout ceci a fait naître des vocations, néanmoins, je ne crois pas non plus que tout puisse être à la charge des associations. Honnêtement, nous nous sommes sentis seuls, abandonnés. À Bordeaux lac, là où de nombreuses personnes vivent dans des tentes, les derniers points d’eau étaient fermés. Cette situation est en réalité coutumière, il faut en avoir conscience. Il faut s’engager.

Alban Dejong
28 années désormais. Une partie passée dans le Sud-Ouest, une autre dans le Nord, avec ici et là des cursus avortés, un Lycée mal fichu, un collège médiocre et une enfance pas assez immature. Un premier épanouissement dans le sport de haut-niveau, puis la défaite et la rentrée dans le monde universitaire avec ses premières difficultés. À Toulouse, en faculté de sport, par proximité avec mon activité sportive, après un baccalauréat scientifique arraché durant la session de rattrapage. Cette partie de ma vie, en trompe l’œil, m’égare, me rapproche un peu plus de mes passions, vouées aux histoires, à la finesse du récit littéraire et filmé, aux grands reporters, aux documentaires, au journalisme, aux autres. Je reprends, à Clermont-Ferrand, un cursus d’histoire. L’idée germe, j’aimerai être journaliste. Seconde partie à Lille, j’ai 23 ans. À 24 ans, j’achète mon premier appareil photo. Je ne sais toujours pas si je serai reporter. Mais si je dois l’être, cela sera par la caméra. Mes premières une, Libération, L’Humanité, via l’agence Abacapress, sont une bouffée d’air. Je reprends mon souffle et me replonge, plus que jamais, dans les histoires, celle des autres.
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