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Lundi 22 janvier 2018
par Anne-Sophie NOVEL
Anne-Sophie NOVEL
Journaliste spécialisée dans les alternatives économiques et sociétales, Anne-Sophie travaille pour Le Monde, Le 1, We Demain, France 2, Public Sénat et de nombreux autres supports. Elle est aussi auteur et conférencière.

Brigitte Gothière est la cofondatrice de l’association L214. Présente lors de la projection de Tuer Manger cet été au Festival de Couthures, elle nous donne son point de vue sur l’expérience menée par Annabelle Basurko et défend une autre posture que celle défendue par Jocelyne Porcher en matière de respect des animaux.

Brigitte Gothière, la militante que vous êtes dénonce les conditions de vie dans les abattoirs et l’exploitation générale du vivant. Que pensez-vous de la démarche d’Annabelle Basurko dans ce feuilleton ?

J’ai ressenti un grand malaise, avec la sensation que cette démarche n’était qu’une recherche d’excuses pour continuer à manger de la viande. Or ce n’est pas parce qu’on peut tuer un animal qu’on peut continuer à manger des animaux. La scène où elle tue la poule est insoutenable, elle la tue mal, et prend cet acte comme un permis de manger de la viande produite par autrui. Mais en quoi cela donne-t-il une autorisation permanente ? Sur quels critères ? D’autant que nous n’avons pas besoin de manger de protéines animales pour vivre. Le fait d’être une espèce différente nous donne-t-il le droit de vie ou de mort sur les autres êtres vivants ?

Est-ce parce qu’on offre une bonne vie et une bonne mort que l’on peut continuer à tuer ?

A mon sens, sa démarche ne questionne pas suffisamment la nécessité de manger des animaux, ni la vie des animaux en eux-mêmes. En ne s’intéressant qu’à l’acte de tuer, on oublie que l’éthique animale dépasse la simple mise à mort. Est-ce parce qu’on offre une bonne vie et une bonne mort que l’on peut continuer à tuer ?

Pensez-vous, comme Jocelyne Porcher, que les conditions de mise à mort des animaux sont liées et qu’il est possible de connaître la mort des animaux à la manière dont ils vivent ?

Non, car nous avons dévoilé les conditions de vie des animaux dans de petits abattoirs certifiés agriculture biologique qui n’étaient pas plus désirables. Prenez l’abattoir du Vigan ou celui idem pour Mauléon Lichard… Les techniques de mise à mort son identiques – asphyxie au gaz, perforation du cerveau, ou mort par décharge électrique… sans parler du reste des techniques sans étourdissement (pour les rituels ou les animaux aquatiques surtout). Il n’y a pas de différences. Je ne crois pas non plus que la démarche de cet éleveur Suisse, qui tue ses bêtes à la carabine, droit dans les yeux, tel un « sniper », soit plus raisonnable… Certes dans ce dernier cas comme dans le cas des abattoirs qui viennent à la ferme on évite le stress des bêtes avant la mise à mort, mais guère plus pour le reste.

Un élevage porcin de Quimper en 2017 – Photo : L214

Jocelyne Porcher évoque aussi la propagande végane, qui ne connaîtrait pas d’assez près la vie animale dans les élevages…

Le budget de notre association L214 repose sur les trois millions de dons que nous avons reçus l’an dernier. Un budget avec lequel nous menons toutes nos actions et rémunérons notre équipe, et encore, nous faisons aussi des économies. Une marque comme Charal, pour sa part, prévoit un budget communication de 17 millions d’euros. Interbev, ce sont 25 millions d’euros qui servent notamment à éditer des fascicules pour 60 000 salles d’attentes et 12 000 médecins, histoire d’ancrer dans les cerveaux qu’il est important de manger de la viande…

Sans parler de Danone, avec 94 millions de budget. L214 n’a rien à vendre au contraire, nous ne défendons pas d’intérêts privés, nous sommes juste là pour dénoncer un système et proposer d’autres choix de société. Nous défendons les animaux en tant qu’individus, ça nous amène à remettre en question le fait de manger leur corps…

En 2018 alors, sur quelles actions souhaitez-vous avancer ?

Nous allons continuer nos actions, et notamment essayer de faire reculer les pratiques les plus cruelles sur l’élevage en cage des poules pondeuses, qu’on veut interdire dans la loi. Nous voulons convaincre les entreprises agro-alimentaires de ne plus avoir recours aux œufs de poules en cage dans leurs préparations. Nous souhaitons aussi faire cesser une certains nombres de pratiques qui sévissent encore dans les élevages et pour lesquelles le public est prêt à nous soutenir. Puis nous allons poursuivre notre mise en avant des alternatives, telles VegORestau et Vegan Pratique, développés afin que tout le monde puisse changer d’habitudes et manger autre chose…

Anne-Sophie NOVEL
Journaliste spécialisée dans les alternatives économiques et sociétales, Anne-Sophie travaille pour Le Monde, Le 1, We Demain, France 2, Public Sénat et de nombreux autres supports. Elle est aussi auteur et conférencière.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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