5 minutes de lecture
Dimanche 17 juin 2018
par Clémence POSTIS
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

Le navigateur François Gabart était l’invité du festival Biotope, autour des vignes et du cuivre. Porte-parole d’un monde différent, celui de la voile, il alerte sur la petitesse de notre monde et sa fragilité. De retour dans son Sud-Ouest natal, il nous parle de bateaux volants et des prouesses technologiques qui, coûteuses en ressources aujourd’hui, seront les solutions de demain.

François Gabart est un skipper, autrement dit un pilote de bateau. Son domaine ? La voile. Cet hiver 2017 il a même battu le record du monde en solitaire avec un temps de navigation de 42 jours. Véritable surdoué de la voile, il a remporté le Vendée Globe à tout juste 29 ans, et son palmarès incroyable fait de lui un des navigateurs les plus talentueux de sa génération.

Je le retrouve dans un magnifique jardin aux odeurs de printemps qui surplombe Saint-Émilion. Un chat paresse sur le banc à côté de nous, sous la surveillance de la poule la plus bizarre que j’ai jamais vue. Je soupçonne un chinchilla d’avoir copulé avec un coq.

Des vignes, du cuivre et de la voile

François Gabart correspond à l’image que je me fais d’un jeune navigateur : souriant et décontracté. Cheveux blonds en bataille, chemisette blanche et sourire franc rehaussé de ses premières rides, il se prête au jeu de l’interview à quelques minutes de sa conférence pour le festival Biotope. Mais que fait-il à un événement consacré à la viniculture, avec pour thème cette année « Le cuivre dans tous ses états ».

« Je suis né et j’ai grandi au milieu des vignes. J’ai de la famille dans le domaine du vin, alors même si je n’y ai jamais travaillé, c’est un milieu dont je me sens issu. » Il se souvient avoir senti, enfant, les produits épandus dans les vignes. « Certains jours, je savais qu’il valait mieux ne pas sortir à vélo ou courir dans les vignes ! » S’il sait à quoi sert le cuivre dans le domaine viticole, il reconnaît ne pas être un expert du sujet. « Il n’y a probablement pas qu’une seule solution, mais tout un équilibre à trouver. J’espère sincèrement qu’au terme de ces deux jours, des pistes de réflexion apparaîtront. »

françois gabart, skipper, navigateur, vendée globe, trimaran massif, course, voile, jacques vabre, route du rhum, navigation, foil, bateau, innovation, biotope, biotope festival, saint-emilion, cuivre, vigne, vin, interview, portrait, revue far ouest, sud-ouest, long-format, documentaire, video
François Gabart a fait le tour du monde en solitaire en 42 jours — Photo : Flo Laval

Il reconnaît dans un rire se demander lui-même quelle est sa légitimité ici ce soir. Plus sérieusement, il pense sincèrement avoir quelque chose à apporter à l’événement en tant que navigateur. Comme porte-parole d’un univers différent, ici, à Biotope. « J’ai pu me rendre compte que notre monde est un monde fermé. Malgré les apparences il est tout petit. On revient toujours là d’où on est parti. » Il a pris conscience de l’extrême fragilité de cet univers fabuleux. « C’est extrêmement choquant, lorsqu’on est à des milliers de kilomètres de toute présence humaine, de tomber sur un sac plastique qui flotte dans l’eau. Si j’ai un message à faire passer, c’est celui-ci : le monde est fragile, nous devons le protéger. »

Ses yeux bleus se font plus sérieux lorsqu’il expose les liens entre la vigne et la voile. « Ce sont deux domaines vieux comme le monde. On a dû mettre des bateaux à l’eau à peu près en même temps que certains ont pensé à utiliser le raisin pour faire du vin. Les pratiques de ces deux mondes sont l’héritage de nombreuses traditions qui sont aussi leur richesse. Et tous les deux, ils vivent aujourd’hui de grandes révolutions. »

Des bateaux qui volent : le foil exploit

Il s’anime lorsque je lui demande quelles sont les révolutions aujourd’hui dans le monde de la voile. « Il y a des milliers d’années, on s’est rendu compte que si on mettait un bout de bois dans l’eau, il flottait. Depuis, la navigation n’a pas beaucoup changé. Elle s’est améliorée, mais le concept de base est resté le même. Mais aujourd’hui on fait des bateaux qui volent ! » Un sourire aux lèvres, il m’explique avec enthousiasme cette affirmation étrange.

La technologie, en marine comme dans la vie quotidienne, il ne faut pas en faire n’importe quoi.

Une révolution est en train de s’opérer dans le monde de la course au large. Depuis une dizaine d’années, les ingénieurs travaillent sur les « foils ». Derrière ce mot barbare se cache une aile profilée, placée sous le bateau. « Comme une aile d’avion, sauf qu’elle repose sur l’eau. Elle génère une force qui pousse vers le haut et soulève le bateau. » Avec ce système, la coque n’est plus immergée et ne frotte plus sur l’eau. Moins de frottement et plus de vitesse.

Un bateau qui vole, comme le trimaran Macif que pilote François Gabart, va plus vite que certains bateaux à moteur. Son voilier pousse jusqu’à 70 km/h, et a permis à François Gabart de faire son tour du monde en 42 jours. « Nous sommes capables, grâce à quelques idées, d’arriver à ce résultat fabuleux. Moins de frottement c’est aussi moins d’énergie dépensée. C’est un cercle vertueux. Un modèle que l’on peut dupliquer sur les bateaux à moteur pour qu’ils consomment moins de gazole. » Il reconnaît qu’il est difficile de savoir à quoi ressemblera la navigation dans dix ou quinze ans. « Mais ce qui est certain, c’est que tous les bateaux d’aujourd’hui vont évoluer. »

Coûter des ressources aujourd’hui pour préserver demain

Au festival Biotope, François Gabart n’est pas le seul invité sur scène. D’ici une demi-heure, il participera à une conférence aux côtés de Guillaume Pitron. Ce journaliste, auteur de La guerre des métaux rares — La face cachée de la transition énergétique et numérique a enquêté sur l’impact écologique et géopolitique réel de notre innovation technologique. Je ne peux retenir une question à ce sujet : des bateaux qui volent, cela a l’air fantastique. Mais est-ce bien raisonnable ?

françois gabart, skipper, navigateur, vendée globe, trimaran massif, course, voile, jacques vabre, route du rhum, navigation, foil, bateau, innovation, biotope, biotope festival, saint-emilion, cuivre, vigne, vin, interview, portrait, revue far ouest, sud-ouest, long-format, documentaire, video
Écoresponsables les bateaux qui volent ? — Photo : Clémence Postis

« Aujourd’hui, la majorité des bateaux de courses sont faits avec du carbone, un matériau composite complexe qui demande malheureusement beaucoup d’énergie et de matière première pour le construire. C’est loin d’être optimal, mais des solutions sont déjà en route : on teste des composites en fibre de lin ou avec des résines biodégradables. » Rien ne semble pouvoir atteindre l’optimisme de François Gabart. « Quand on me dit que la technologie attaque le sens marin, qu’il n’est plus là, je ne suis pas d’accord. » Quel plaisir de pouvoir brancher le pilote automatique et se libérer les mains pour aller cuisiner, faire d’autres manœuvres ou simplement profiter ! « Cela n’enlève rien, le plaisir d’être à la barre est toujours là. La technologie, en marine comme dans la vie quotidienne, il ne faut pas en faire n’importe quoi, mais se servir à bon escient de toutes ces bonnes idées. »

La voie à suivre pour François Gabart est celle de la pleine conscience : connaître les limites de l’innovation et ne pas s’emprisonner dans des systèmes irréversibles où navigateurs et particuliers finissent par être complètement dépendants de la technologie. « Il est difficile de se positionner sur ces questions d’environnement et de technologie. Le simple fait de vivre consomme des ressources. Il ne faut pas faire machine arrière à chaque fois qu’une nouvelle idée ou avancée technologique apparaît. On se doit de vivre cette révolution pour arriver à trouver d’autres solutions. »

Les trois ingrédients pour faire voler les bateaux qui aujourd’hui transportent des personnes et demain peut-être des marchandises ? Des technologies, qui en termes de matériaux, comme le carbone issu du pétrole, ne sont absolument pas « propres » ; d’informatique et de l’électronique pour contrôler le navire ; et enfin une bonne idée pour la forme du foil. « On avait besoin de tout ça pour découvrir de nouvelles façons de naviguer. Et je suis persuadé que l’étape d’après est de concevoir des bateaux en matériaux entièrement renouvelables. »

Développer un savoir-faire grâce à l’innovation permettra demain de se passer d’informatique et de matériaux trop coûteux en ressources et en énergie. François Gabart refuse de se séparer de son optimisme : « Il faut être optimiste. Sinon, on se bloque, et on n’arrive pas à trouver de nouvelles idées. Il faut y aller, même si on ne sait pas où ces nouvelles idées nous mènent. »

L’intégralité de l’entretien en vidéo :

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

Les Passager·e·s

Orsenna : « L'eau est le miroir de nos civilisations. »

Erik Orsenna est un « amoureux des fleuves ». Pour lui, ils racontent une histoire. Notre histoire. Présent au festival Biotope à Saint-Emilion il a répondu à nos questions.

Titouan Lamazou : « La réussite n'est pas la richesse matérielle »

Titouan Lamazou a vécu mille vies : navigateur, artiste, écrivain… Plus connu du grand public pour avoir remporté le Vendée Globe en 1990, il est aussi « artiste de l’UNESCO...

Christiane Franck : « L'eau est un droit, pas un produit. »

Christiane Franck a dirigé pendant plus de dix ans la compagnie des eaux belges. Elle garde aujourd’hui encore une attache profonde avec le monde de l’eau et ses impacts sur la...

Usul : la revanche sociale

Usul est vidéaste. Il a commencé à se faire connaître par des vidéos sur les jeux vidéo avant de s’attaquer à la vulgarisation politique. Aujourd’hui, il est éditorialiste pour...

Macron : « les années de domination de trop »

Et si Mai 68 c’était maintenant ? Usul, vidéaste et éditorialiste pour Médiapart est un communiste qui s’assume. Pour lui, les années Macron sont les années de domination de...

Extinction de masse : « Nous n'y survivrons pas. »

Marie-Monique Robin est journaliste, réalisatrice et écrivaine. Son documentaire Le monde selon Monsanto est l’un des plus piratés d’internet, et son livre éponyme a été traduit...

Low-tech : le futur simple de Philippe Bihouix

Philippe Bihouix est ingénieur de formation et auteur de L’âge des low tech. Il s’intéresse notamment à la question des ressources non renouvelables et des mutations...

« La politique européenne menace le vivant. »

Inès Trépant est conseillère politique à la Commission Développement du Parlement européen . Elle a écrit de nombreux ouvrages sur les impacts environnementaux de la politique...

François Gabart : croisière en optimisme

Le navigateur François Gabart était l’invité du festival Biotope, autour des vignes et du cuivre. Porte-parole d’un monde différent, celui de la voile, il alerte sur la...

Guillaume Pitron : les riches jouissent, les pauvres creusent

Et si les technologies vertes étaient une pure mystification ? C’est que ce démontre Guillaume Pitron, journaliste et auteur du livre La guerre des métaux rares. Pour polluer...

Vincent Mignerot : l'illusion de l'écologie

Pour Vincent Mignerot chercheur indépendant, l’humanité vit dans le déni : pour nous développer, nous devons détruire l’environnement. Un déni en forme d’avantage évolutif qui...

Pablo Servigne x Camille Choplin : Libre échange

« Tu n’en as pas marre de parler d’effondrement ? » C’est par cette interrogation que commence l’entretien que nous avons organisé entre Pablo Servigne et Camille Choplin....

Paul Jorion : sortir du capitalisme

Connaissez-vous vraiment le capitalisme et ses conséquences sur le monde ? Paul Jorion est anthropologue et sociologue. Sortir du capitalisme est pour lui une question de...

Alpha Kaba : esclave en Libye, journaliste à l'IJBA

Alpha Kaba Sept était journaliste radio en Guinée. Suite à une de ses enquêtes il doit quitter son pays pour sauver sa vie. Il traverse le continent à pied jusqu'à l'Algérie......

Saloon : solidarité 3.0

Dans le Saloon on se pose la question de la solidarité dans la culture. Solidarité 3.0 : les bons Samaritains à l’épreuve du terrain. Comment parler de solidarité quand on est...

Philippe Poutou : Bons baisers de Ford

L'usine Ford de Blanquefort ferme. Était-ce vraiment inéluctable ?

Gilles Bertin : la réalité, même refrain et même couplet

Gilles Bertin, premier bassiste et chanteur du groupe bordelais Camera Silens, est un rescapé : de ces années destructrices dans le milieu punk où la drogue et le sida ont...

Zebda : le succès pour tombe

Magyd Cherfi est un chanteur, acteur et écrivain français. Il grandit à Toulouse dans la cité des Izards, avec ses parents kabyles, la précarité, le racisme et l’art chevillé au...

Effondrement : l'écologie des riches

L’effondrement, la collapsologie, la fin des sociétés industrielles… Des termes et des concepts entendus partout depuis quelques mois, y compris chez Far Ouest. Jean-Baptiste...

Anticiper le présent

Comment écrire de la fiction lorsque celle-ci est rattrapée inexorablement par la réalité ?

La médecine des singes

Paludisme, maux de gorge, parasites intestinaux... Comment les grands singes se soignent-ils ?

LGBT+ : partir pour mieux vivre

Au Brésil et en Tunisie, les personnes LGBT émigrent pour en finir avec l'oppression et la peur.

Le jeu vidéo est-il sexiste ?

Quelles représentations des femmes dans le jeu vidéo ? Nous avons rencontré Fanny Lignon, autrice du livre Genre et jeux vidéo, au festival de journalisme de Couthures pour...

La loi de la nature

Valérie Cabanes, juriste spécialisée dans le droit humanitaire, lutte pour que la nature puisse défendre son existence.

Chomsky : « Nous sommes à la confluence de plusieurs crises majeures »

Crise démocratique, crise climatique, crise sanitaire. Nous assistons actuellement à une superposition de ces différents bouleversements. Noam Chomsky, linguiste et philosophe...

Rokhaya Diallo : “Racisme, sexisme, mettre fin au déni”

Journaliste et réalisatrice, Rokhaya Diallo est une des voix émergentes du « féminisme intersectionnel » en France. En visite dans le Sud-Ouest pour le festival « Comme un...

Féminisme : une histoire de violence

« Le machisme tue tous les jours, le féminisme n’a jamais tué personne ». Cette célèbre citation de la journaliste et militante Benoîte Groult est brandie depuis des décennies...

Ces épisodes pourraient vous intéresser
Le bon, la brute et le roman

EP#1 : Tempêtes et Miroirs

EP#1 : Tempêtes et Miroirs

Du médiéval fantastique et de la fantasy.
Mystères, Mystères

Biodynamie : un vin lunaire

Biodynamie : un vin lunaire

De plus en plus de viticulteurs se détournent des méthodes industrielles pour se convertir à la biodynamie. Un système d’exploitation agricole et ésotérique un peu particulier...
Soutenez Revue Far Ouest !

Nous avons besoin de 1 000 nouvelles souscriptions pour continuer à exister.

Découvrir nos offres d’abonnement