Épisode
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Dimanche 29 avril 2018
par Véronique Duval
Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.

Les paysans de la mer s’inquiètent des conséquences de l’agriculture intensive sur leur activité.

Ça sent la carotte et la terre fraiche lorsqu’on entre dans le hangar en bois de l’Accueillette du Mignon, ferme en maraîchage biologique de 5 hectares que créent en 2011, Dominique Mallet et Maryline Regnier. Tout autour s’étend leur jardin : 3,5 hectares de parcelles en plein champ et quelques serres, bordées de bandes enherbées et de haies pour accueillir mésanges, insectes utiles, hérissons… Les 140 variétés de légumes qu’ils cultivent nourrissent 500 personnes chaque semaine, toute l’année.

Avec leurs deux salariés, ils sont quatre à travailler la terre, semer, planter et récolter les salades, radis, choux et autres basilic. Et les arroser. Lorsqu’ils se sont installés, Dominique et Maryline ont calculé que 4500 m3 suffiraient. C’est un voisin, paysan — boulanger, qui leur a donné le droit de pompage. « On estimait que sur une structure comme la nôtre, avec un système de goutte-à-goutte et de microaspersion sur certains légumes, c’était suffisant », raconte Dominique.

Moins d’eau, plus de saveur

À un stade précoce, les poivrons et les aubergines sont la cible de petits insectes qui bloquent le développement de la chlorophylle. La microaspersion dérange ces parasites, explique-t-il. Le système principal est un goutte-à-goutte, avec 26 kilomètres de conduits. « Quand on installe le tuyau, la patate est déjà poussée. Elle n’est pas encore arrachée lorsqu’on le récupère pour les choux et les poireaux », détaille Dominique. « On retravaille le terrain entre chaque culture, enchaîne Maryline, pour désinstaller tous les tuyaux, c’est très difficile parce qu’ils sont pris dans la terre, entre les plants. »

Dominique au milieu de ses cultures
Dominique au milieu de ses cultures — Photo : Véronique Duval

Dominique et Maryline sont de petits irriguant, comparés à des voisins grands céréaliers qui utilisent chaque année des centaines de milliers de mètres cubes. Les maraîchers utilisent l’eau avec mesure et souci d’efficacité. « L’an dernier, comme l’été risquait d’être très sec, on a arrosé les jeunes courges à l’arrosoir. » Peu irrigués, leurs légumes ne sont pas gorgés d’eau, ils ont une meilleure saveur, expliquent-ils. « Ils provoquent moins d’encombrement dans le système digestif », précise Dominique. « Ils se conserveront mieux », ajoute Maryline.

Pour conserver le droit à pomper 4500 m3 d’eau, l’Accueillette du Mignon a dû adhérer à la coopérative de l’eau des Deux-Sèvres. Sans cela, l’autorisation de pomper serait limitée à un millier de m3. « Ce n’est pas suffisant. Même en année normale, on va consommer presque 3000 m3 d’eau. »

Cette obligation n’entame pas leur conviction : les maraîchers désapprouvent le projet des bassines porté par la coopérative. Ils défendent « une agriculture économe, qui prend en compte la réalité des sols ». Pour Maryline, on prend le problème à l’envers : « la première chose serait de revoir notre agriculture. Pourquoi produire tant de maïs qui a besoin d’être irrigué pour exporter ? » Dominique développe : « avant de se lancer dans ce genre d’opération, il faut se dire : qu’est ce qu’on peut implanter pour économiser l’eau et que les paysans en vivent ? »

Autrefois, il était éleveur laitier en Vendée. « Les probassines prétendent répondre aux besoins des éleveurs, mais cela ne justifie pas le gigantisme des ouvrages ! » souligne-t-il : 10 hectares de maïs ensilage assurent une production importante. « Avec une irrigation bien ciblée, sur un sol qui a un peu de profondeur, les éleveurs ont la nourriture pour leurs vaches. » Sur des sols peu profonds, la luzerne serait une plante plus indiquée.

Photo : Véronique Duval

Autre aspect qui choque les cultivateurs, le volume total des prélèvements annuels prévus. L’an dernier, un peu plus de 8 millions de m3 ont été prélevés. C’est le volume des 19 bassines qui doit être pompé dans les nappes l’hiver. Mais s’y ajoutent plus de 7 millions de m3, qui continueront à être prélevés dans le milieu, au printemps et en été. « Le terme “réserve de substitution” est impropre, car les bassines ne sont pas faites pour moins pomper dans les forages l’été. Elles vont encore augmenter la consommation d’eau. C’est extraordinaire ! ». Sans parler de l’énergie nécessaire pour remplir les bassines positionnées sur les points hauts. Pour les maraîchers « c’est un non-sens de pomper de l’eau pure de la nappe alors qu’il y a aussi de l’eau qui court. »

Ce projet n’est cohérent ni avec la vision de leur métier ni avec leurs valeurs, concluent-ils. Et l’aspect économique ? Maryline : « Le coût supplémentaire pour notre exploitation, bien sûr c’est un problème, mais ce n’est pas le souci fondamental : on gaspille de l’eau et des sommes énormes. » Dominique : « Si on ne regardait que notre situation, on n’a que 4500 m3, ça ne nous met pas en péril. Mais c’est aussi une question de citoyenneté. »

Des rivières à la mer : un cycle de l’eau perturbé.

Les maraîchers m’ont parlé de lui : Jean-François Périgné, mytiliculteur sur l’île d’Oléron, à 70 kilomètres de là. Il a commencé par cultiver des algues il y a 25 ans, avant de se tourner vers l’élevage de moules en eau profonde. « Aujourd’hui, la conchyliculture a tendance à de déplacer de l’estran vers le large, à cause de la qualité des eaux qui arrivent par les estuaires, elles créent des soucis de croissance et de mortalité, » explique-t-il.

Dessin affiché dans le bureau des maraîchers — Dessinateur : Guillaume Bouzard

Regard bleu et discours pédagogue, l’homme est aussi secrétaire national à la Confédération paysanne, en charge de la question de l’eau. Il revient du forum mondial de l’eau, qui s’est tenu à Brasilia fin mars. Et il suit de près les négociations avec le gouvernement sur cette question vitale pour les « paysans de la mer », qui est source de tensions avec les « paysans de la terre ».

Les premiers travaillent en milieu ouvert, vulnérable à toutes les pollutions explique-t-il. « Nos animaux filtreurs consomment essentiellement du phytoplancton. Le phytoplancton est la première biomasse, il produit les 2/3 d’oxygène de la planète, à la base de toute la chaîne alimentaire… Il se développe avec la photosynthèse et les sels minéraux, qui arrivent par les rivières : les rivières sont le sang qui irrigue l’océan. »

Les rivières charrient des sédiments chargés de nutriments, mais aussi des molécules indésirables issues des diverses activités humaines. L’estuaire de la Charente, en face de l’île d’Oléron, apporte ainsi les pesticides utilisés en amont dans les vignobles de Cognac et autres cultures intensives, fragilisant les coquillages. À cette pollution s’ajoutent les débits insuffisants en période estivale.

« Trop souvent, dans la tête d’un paysan de la terre, une goutte d’eau qui part à la rivière, c’est une goutte d’eau de perdue. Mais non : Il faut que le cycle de l’eau complet puisse se faire. » Or l’irrigation estivale du maïs, en particulier en période de sécheresse, rompt ce cycle de l’eau : « Fin août 2017, le débit à l’estuaire était de 10 min 3 s/seconde et ça, c’est impossible pour la survie des coquillages. On a de grosses mortalités. Nos moules ont fait un sacré régime minceur l’été dernier. »

Le secrétaire national dénonce le désastre environnemental, mais aussi le non-sens économique et social d’un modèle agricole ultra-subventionné.

Les incidences sur l’économie des conchyliculteurs sont énormes : « Je n’ai jamais vu un touriste venir en Charente-Maritime pour visiter des champs de maïs. Ils viennent sur nos plages et consomment l’assiette d’huitres avec le verre de vin blanc et l’éclade de moules », souligne le mytiliculteur, non sans humour.

Un programme délirant

Quelle est sa position sur les projets de stockage d’eau ? Les 19 réserves prévues sur le bassin de la Sèvre niortaise ne sont pas seules en cause : sur les quatre départements de l’ex- Poitou-Charentes, les projets de création totalisent 200 bassines et 58 millions de mètres cubes. « Dont 5 bassines autour d’un million de mètres cubes. Le barrage de Sivens, c’était 1,5 million de m3. » La position de Jean-François Périgné est sans équivoque : « On est sur un programme délirant », dans un contexte où les premières conséquences du dérèglement climatique sont connues. D’ici 2050, est annoncée une baisse de 20 à 30 % de la pluviométrie et de 20 à 30 % du débit des rivières, couplée à une hausse de 40 % de l’évapotranspiration, « ce qui va entrainer automatiquement une baisse de la recharge des nappes phréatiques de 40 à 50 %. »

Son syndicat agricole demande un statu quo, le temps de faire un état des lieux de l’existant. Le secrétaire national dénonce le désastre environnemental, mais aussi le non-sens économique et social d’un modèle agricole ultra-subventionné. Il étrille aussi un discours biaisé : « il ne s’agit en aucun cas de bassine de substitution. On dépense de l’énergie fossile pour pomper dans les nappes phréatiques en hiver et le stockage de l’eau en surface. » À l’air libre, la moitié de cette eau est perdue, entre l’évaporation et le volume nécessaire pour maintenir la bâche.

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La Sèvre niortaise — Source : Wikimedia

Des alternatives existent, comme des cultures moins gourmandes en eau : du sorgho, ou du maïs « population », non irrigué et adapté au sol et au climat local. « On n’est pas contre l’irrigation, mais il faut réfléchir, se mettre autour d’une table avec les associations de consommateurs, celles de défense de l’environnement, les paysans », appelle le responsable syndical.

Les assises de l’eau, dont le gouvernement annonce la tenue cette année, répondront-elles à cet objectif ? Il se montre très circonspect. La cellule d’expertise constituée ne comprend qu’un seul représentant du monde agricole : Luc Servant, président de la chambre d’agriculture de Charente-Maritime, important céréalier irriguant, probassine. Et ces assises se dérouleraient sur un mois. C’est bien trop court pour une problématique aussi importante. « Le sujet ne va pas se résoudre au mois de mai » pronostique-t-il.

Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.
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