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Jeudi 31 octobre 2019
par Clémence POSTIS
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

Marie-George Thébia est une historienne et écrivaine guyanaise. Elle était à Bordeaux pour le climax festival, pour intervenir autour de la forêt, du refuge de la liberté qu’elle représente et sur le marronage. En quête de son africanité, elle cherche à faire connaître et reconnaître la Guyane, autant aux jeunes guyanais qu’aux métropolitains.

Photo de couverture : Rachel Pfuetzner

Vous êtes l’autrice de « Mon nom est Copena ». Que raconte ce roman ?

Ce roman raconte le cheminement d’un petit garçon nommé Evariste. Ce nom lui a été donné par son maître. Dans le système colonial, les gens qui arrivaient d’Afrique étaient débaptisés. Les esclaves recevaient un nom plus ou moins ridicule en référence aux goûts du maître, à la journée ou aux lettres romaines.

Evariste et ses parents vivent sur une plantation en Guyane. Ce petit garçon a la chance d’avoir une grand-mère qui a vécu en Afrique. Elle se souvient de la vie d’avant, contrairement à ses enfants qui sont déracinés et qui sont nés sur la plantation. Evariste va réaliser progressivement d’où il vient, il va s’approprier son africanité effacée par l’évangélisation. Suite à certains évènements, lui et sa famille vont être obligés de fuir la plantation pour se réfugier dans la forêt.

Couverture du livre "Mon nom est Copena"
Mon nom est Copena, éditions Plume Verte 

Ces aventures sont un parcours initiatique, progressivement Evariste va devenir Copena. Grâce à sa grand-mère, il va devenir un petit guerrier et va intégrer à sa vie d’esclave guyanais français son africanité.

Mon nom est Copena est le premier roman historique guyanais pour enfant. Des bandes dessinées ont déjà été publiées, mais pour la littérature jeunesse cela n’existait pas. Il est vrai que c’est assez difficile à croire. Avec l’éditeur, nous avons décidé de créer une collection de romans historiques pour la jeunesse. Mon nom est Copena est le premier tome, le deuxième sort normalement en janvier.

Ce sera l’histoire d’une petite Amérindienne qui va essayer de sauver son village contre l’arrivée des Européens, des maladies, de l’alcool… Cette petite fille va conduire ce qu’il reste de son peuple en sécurité.

Copena a vraiment existé, n’est-ce pas ?

Le vrai Copena était un esclave de la communauté des marrons de la Montagne Plomb. Cette communauté s’est cachée dans la forêt pendant douze ans, en tenant en échec les autorités coloniales. Le rôle de Copena était d’aller chez les esclaves qui fuyaient.

On les renommait, on leur interdisait de pratiquer leurs rites, on les baptisait… Tout le côté africain de leur existence était effacé.

Lorsque les esclaves s’échappaient, des chercheurs d’esclaves partaient à leur recherche avec des chiens. Pour leur échapper et rejoindre le campement, les fuyards faisaient des allers-retours et effaçaient leurs traces pour que l’on ne puisse pas accéder au camp. Le rôle de Copena était d’aller chercher ces esclaves et de les aider à passer par des méandres de la forêt. Copena a fini par être trahi et arrêté. Multirécidiviste, il a été torturé devant sa femme et ils ont subi le supplice de la roue devant leurs enfants. Il fallait marquer les esprits, sa mort a montré aux esclaves ce qui les attendait s’ils fuyaient.

Le système colonial a appliqué le code noir : à la première fuite, un membre était coupé ; à la deuxième, une fleur de lys était marquée au fer rouge sur l’épaule ; à la troisième, c’était la mort.

On ne sait pas grand-chose de Copena, j’ai trouvé que ce roman était quelque part une façon de lui rendre justice. Il est étonnamment le seul dont on se souvient dans l’histoire de la Guyane à avoir un nom africain. Tous les autres marrons importants avaient des noms français : Simon, Linval, Gabriel…

Vous avez parlé au début d’africanité. Comment la définit-on ?

Il ne faut pas oublier : tout a été nié. Après ce terrible voyage où ils étaient récupérés en Afrique, les esclaves étaient réduits à l’état de bête, d’instrument. Ils étaient fouettés, vendus sur les marchés en leur ouvrant la bouche comme pour un cheval. À leur arrivée en Guyane, on achevait d’en faire des riens.

On les renommait, on leur interdisait de pratiquer leurs rites, on les baptisait… Tout le côté africain de leur existence était effacé. Heureusement il y avait des esclaves qui n’étaient pas nés sur l’habitation, qui avaient en mémoire le passé. Ce savoir se perdait, mais il y avait une tradition orale. Si on devait faire un parallèle la situation d’aujourd’hui en Guyane, nous sommes beaucoup de créoles à ne pas avoir connu cette part d’africanité. Aujourd’hui nous sommes dans une sorte de quête pour revenir à cette africanité. Il y a des conférences, des associations… On s’intéresse à cette racine africaine.

Par exemple, nous, les peuples issus de la colonisation, nous avons très peu vécu nos cheveux. Pendant un certain temps, le modèle imposé était celui des cheveux lisses et défrisés. Depuis quelques années, de plus en plus de femmes assument leurs cheveux naturels. Ce n’est pas anecdotique, cela veut dire qu’il y a une prise de conscience de ce que l’on est.

Moi, je suis créole issue de tous ces métissages. J’ai un grand-père breton, une arrière-grand-mère amérindienne, une grand-mère esclave, un grand-père mulâtre qui venait d’Égypte… C’est un métissage fou. Récemment, cette partie africaine de moi je la sens, je la vis. Et je ne suis pas un cas unique, quand je discute autour de moi avec des amis, nous sommes vraiment dans cette recherche de l’africanité.

Mon nom est Copena rentre dans cette logique-là ?

Oui, parce que j’ai pensé aux enfants. À la fin du livre, il y a « dans les coulisses du roman ». Il y a un petit paragraphe sur les religions africaines, pour montrer aux petits Guyanais ce qu’il y avait avant. Je tenais aussi à ce qu’on sache comment fonctionnait le système des habitations, l’ordre colonial… Ce petit livret-là est destiné aux enseignants, avec aussi des fiches pédagogiques en accord avec les programmes officiels français. Nous sommes dans la transmission.

Pourquoi vous avez accepté de venir au Climax ?

La thématique « la forêt dernier refuge de la liberté » m’intéressait et je suis très sensibilisée à la déforestation. N’oublions pas que je vis en Guyane. La Guyane c’est l’Amazonie française. On a beaucoup parlé d’Amazonie qui brûle, mais il se passe quasiment la même chose chez nous. De grands groupes industriels déboisent des hectares et des hectares de forêts chaque année. Il y a malheureusement l’orpaillage. Quand vous survolez la Guyane, c’est impressionnant : il y a des trous partout dans la forêt. Des espaces où on ne pourra plus vivre pendant longtemps puisque les orpailleurs utilisent des substances comme le mercure, le cyanure…

Quand les orpailleurs sont passés, il n’y a plus de vie, c’est ce qu’on appelle une terre morte.

Toutes les populations qui sont autour sont touchées et ne peuvent plus consommer leur poisson ou leur viande. Leur mode de vie est complètement bouleversé. Ce qui se passe est important et il faut en parler. Il y a une sorte d’hypocrisie du gouvernement français qui d’un côté fustige les Brésiliens, mais d’un autre le Président accorde des permis miniers. Il y a 370 mille hectares qui vont être octroyés à des opérateurs miniers. Ce discours n’est pas très cohérent.

Je suis contente, à mon modeste niveau d’être ici, parce que la Guyane et les Guyanais sont toujours oubliés. Nous avons très peu de représentativité, nous sommes rarement invités dans ce genre de manifestation. On ne nous connaît pas, on ne connaît pas le territoire. Plus on en parlera et plus la Guyane va avancer et sortir de son ornière. On doit comprendre qu’il faut protéger ce territoire pour offrir d’autres choix que cette manne aurifère.

La forêt est-elle le dernier refuge de la liberté en Guyane ?

Elle l’a été par le marronnage. La forêt a permis aux esclaves guyanais de prouver qu’ils pouvaient exister en dehors de ce système colonial. Ils ont réussi à survivre, ils ont recréé des communautés autogérées et structurées autour d’un chef. Cela mettait un coup à l’infantilisation des esclaves, à cette idée reçue qu’ils ne pouvaient pas se prendre en charge.

Cette forêt aujourd’hui, je pense que nos dirigeants doivent comprendre qu’on peut encore se tourner vers elle. Elle peut être la solution pour sortir la Guyane de son ornière de sous-développement. Il n’y a pas que l’orpaillage, on a des ressources, une biodiversité incroyable. De grands organismes scientifiques comme l’IRD ont fait des retours sur les trésors de la pharmacopée amérindienne. Pourquoi ne pas instaurer un partenariat pour éviter la biopiraterie ? Cela peut être des sources d’enrichissement, de progrès social et économique, complètement différents du choix qui est fait aujourd’hui. Le choix de l’or.

L’or n’est pas une ressource renouvelable, quand ce sera terminé il restera quoi ? Pour les générations qui vont suivre, on va leur laisser quoi ? Quand les orpailleurs sont passés, il n’y a plus de vie, c’est ce qu’on appelle une terre morte.

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
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