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Jeudi 19 novembre 2020
par Xavier DAVIAS
Xavier DAVIAS
Correspondant local de presse et collaborateur régulier de la Dépêche du bassin. S'autorise de temps en temps une incartade sur les médias en ligne tels que Revue Far Ouest afin de traiter des sujets un peu à l'étroit sur papier. Prête-plume et rédacteur indépendant. A commencé deux ouvrages majeurs de la littérature française mais n’en a fini aucun. Un troisième opus est en cours.

De 1991 à 2001, Laurent a vécu avec les Indiens Lakotas. Ses rencontres avec les hommes-médecine sioux l’ont amené à devenir, un pas après l’autre, un des gardiens de la tradition chamanique dont il a perpétué les rites, là-bas, au cœur du Dakota du Sud. Depuis 20 ans maintenant, il préside au cœur de la forêt des Landes de Gascogne les cérémonies traditionnelles sur un sol considéré comme sacré par les chefs sioux. Voici son histoire.

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J’avais 24 ans quand j’ai rencontré un indien pour la première fois. C’était en 1991. J’étais alors bouquiniste, rue du loup à Bordeaux, et un flyer m’apprit la tenue d’un séminaire donné en Bretagne par le chef Archie Fire Lame Deer. Intrigué et tenant à rencontrer en chair et en os un représentant du peuple Lakota — un sioux — je suis parti séance tenante à sa rencontre.

En prenant la route ce jour-là, j’étais loin d’imaginer que le chemin serait si long. Pas plus ne me doutais-je que cet homme-médecine s’attacherait mes services pour les dix années à suivre et m’auréolerait d’une fonction sacrée, encore rarement accordée aux blancs de nos jours.

Car si je ne cherche aujourd’hui ni statut ni reconnaissance, mon histoire est avant tout celle d’un parcours initiatique. Prescrite par ces mêmes hommes-médecine d’Amérique du Nord, cette quête — demeurant par nature inachevée — a fait de moi un des leurs, voué à transmettre à mon tour la tradition Lakota. Mais comment ce séminaire m’a-t-il conduit jusqu’ici ?

Libéré par le rire de l’homme-médecine.

Cette première rencontre en janvier 1991 a été aussi ma première expérience d’un des principaux rites traditionnels Lakota : l’inipi ou hutte de sudation. Une cérémonie spécifiquement codée afin de purifier le corps et l’esprit par le feu, la chaleur et la vapeur. Était-ce la température ? Les chants et les prières entêtantes ? Malgré mon esprit solidement arrimé au cartésianisme, un cursus universitaire en psychologie et le sol breton sous mes pieds, des choses bizarres se produisirent dans le noir. Des voix étrangères se firent entendre.

Sous l’effet de la peur, je suis parti en courant de cette hutte, convaincu de la folie des autres. Une hallucination, à coup sûr. Alors que le groupe poursuivait le rite sans moi les deux jours suivants, je décidai de faire part de mes doutes et de mon expérience malheureuse au chef Archie en commençant — politesse oblige — par lui offrir un peu de tabac. Il éclata de rire si fort que l’angoisse coincée dans mon ventre depuis le début disparut instantanément. « Allez, c’est tout fils. Rentre maintenant. »

Laurent mène aujourd'hui la cérémonie du Inipi
Laurent mène aujourd’hui la cérémonie du Inipi — Photo : Xavier Davias

Cette simple injonction a suffi à me convaincre de participer à l’une des cérémonies les plus éprouvantes de la semaine. Les pierres brulantes s’accumulaient au centre de la hutte et si je ne pouvais faire abstraction des râles autour de moi, j’arrivais tout de même à faire un constat : je me sentais bien. La vapeur, la chaleur, les chants m’enveloppaient cette fois avec bienveillance pendant près de 7 h pour mon plus grand plaisir. Et à la surprise de tous.   

Sur la voie du Heyoka, l’indien contraire

Les mois qui suivront cette expérience me laisseront dans la tête un parfum d’étrange et les inflexions incessantes des chants Lakotas. Au mois de juin de la même année, je fus invité pour un nouveau séminaire au cours duquel un rêve est venu à moi. Le chemin, l’arbre mort fleurissant de « tobacco ties » — sachets de tabac traditionnels — et les deux collines noires vers lesquels je me dirige en songe ne font pas de mystère pour Archie à qui j’ai raconté ce rêve.

« Tu dois faire une quête de vision », conclut-il. Un rite initiatique imposant une retraite et un jeûne complet de quatre jours. Sans y réfléchir à deux fois, je refusai alors d’obéir à cette consigne. Au mois d’octobre suivant, Archie était de nouveau dans la région pour un séminaire et je lui proposai cette fois de passer quelques jours à Saint-Magne, au sein de la demeure familiale établie dans la forêt des Landes de Gascogne.

Je vivais désormais avec les Lakotas.

Alors que, comme chaque convive avant moi, je me lavais les mains pour passer à table, la foudre toucha la maison et m’atteignit, conduite par les canalisations jusqu’aux robinets que je tenais fermement. Ce choc me fit vivre une expérience de mort imminente lors de laquelle je pus voir distinctement, comme ce qui est décrit en général dans cette situation, une lumière vers laquelle je me dirigeai. Mes grands-parents me sont apparus pour me prévenir que non, ce n’était pas le moment.

Un aigle blanc me prit dans ses ailes et me ramena dans mon corps. Cette expérience était un signe très net pour Archie présent à mon réveil, ici, en Gironde : « Tu dois suivre la voie du Heyoka ». Le Heyoka est « l’indien contraire », celui qui fait tout à l’envers. Un des plus puissants hommes médecine, capable de conjurer les sorts et la maladie en lui faisant rebrousser chemin. Que dois-je faire de ça ?

Me voilà devenu « Fireman »… et aide de camp d’Archie.

Commença alors une longue initiation dans le sillage d’Archie Fire Lame Deer. Pendant les deux années qui suivirent cet événement, je l’accompagnai partout en Europe. En Allemagne, en Autriche, en Espagne… Je préparais le feu pour les cérémonies, je servais les pierres pour les huttes et je chantais même pour lui selon la tradition Lakota. Me voilà devenu « fireman ».

Cette fonction s’étend malgré moi à toute l’intendance que requiert la présence d’un homme-médecine sur le sol européen. Organisation des séminaires, location de voiture, réservations, chauffeur… Si l’on peut considérer que je suis devenu son apprenti — et le coordinateur de son intervention en France et en Espagne — je constate parfois qu’il a fait de moi par la même occasion son aide de camp.

« Pourquoi moi ? » lui demandai-je un jour.

« Et pourquoi pas toi ? » conclut-il laconiquement.

De 1991 à 2001, je vécus par alternance en France et aux USA où je passais trois mois en été et trois mois en hiver, au sein même de la réserve indienne. En suivant cet enseignement, je plongeai véritablement dans la culture Lakota et devint un membre de la famille. Les rites se déroulaient à un rythme plus intense que ce dont j’avais pu être témoin en Europe. Mon rôle de « fireman » m’amenait à enchainer les « services ».

La cérémonie de la hutte de sudation
La cérémonie de la hutte de sudation — Photo : Xavier Davias

De jour comme de nuit, je participais avec les autres membres de la communauté à la préparation du feu, au service des pierres. Deux-mille personnes défilaient chaque jour à Crow Dog Paradise afin de participer à la cérémonie du Inipi qui mobilisait jusqu’à huit huttes de sudation en continu lors de la danse du soleil. Les buchers et les pierres incandescentes par centaines étaient mon outil de travail et mon quotidien.

Cette fonction ne me dispensait pas pour autant des tâches sociales qui rythmaient la communauté. Redistribution des richesses. Funérailles. Naissances. Sans oublier les innombrables réunions qui précédaient la tenue des cérémonies sacrées. Je vivais désormais avec les Lakotas.

« Tu seras danseur du soleil… »

À la veille d’un bucher d’exception apparut un vieil homme aux cheveux blancs. Alors que je m’apprêtais à terminer le service de nuit, il demanda des pierres pour sa hutte, « prestation » que je ne saurais refuser eu égard à son âge. Il posa la main sur mon cœur et me raconta ma vie mieux que si je l’avais raconté moi-même. « Tu seras danseur du soleil et tu mèneras un jour la danse du soleil », m’annonça-t-il avant de disparaître dans la hutte.

Nous ne l’en verrons jamais sortir, chose impossible au regard de la disposition des lieux. Informé de cette anecdote le soir même, Archie, toujours lui, formula une hypothèse « Tu as sûrement rencontré l’esprit du vieux Crow Dog. » Humain ou esprit, je n’ai jamais su la vérité, mais ce qui est sûr, c’est que sa prophétie allait pourtant se réaliser.

En 1998 un autre grand homme-médecine Lakota, Grand-Père Wallace Black Elk, intervint lors d’une conférence à l’Athénée municipal de Bordeaux. Il m’invita à chanter à ses côtés et à participer à une cérémonie à Guitres, à quelques kilomètres de Libourne. Dans quoi m’embarquait-il ? Malgré mes doutes et le cartésianisme qui ne m’avait jamais quitté, j’acceptai de le suivre.

 Putain, mais ils se servent de moi… Je leur sers de catalyseur ! 

Dans cette hutte encore une fois, une vision vint à moi. Je perçus au cours de la cérémonie une aire de danse du soleil, un arbre d’or et une coiffe de bison traditionnelle qu’un homme me posa sur la tête. Des phénomènes sensoriels inexplicables se produisaient à nouveau. Désormais hors de la hutte, Grand-Père Wallace posa sa main sur ma tête : « Tu as reçu des messages, hein ? » Les larmes coulèrent et la colère monta : « Putain, mais ils se servent de moi… Je leur sers de catalyseur ! »

Mon esprit tenta de se raccrocher à la raison, mais déjà en moi je pressentais la quête — encore une — qui me serait présentée un jour prochain. Il faudra attendre quelques mois et un nouveau séminaire à Paris pour que commence ce nouvel enseignement. Un soir d’insomnie commune à déambuler dans un hôtel silencieux, Grand-Père Wallace et moi nous sommes retrouvés par hasard : « Trouve-moi un stylo et du papier » commanda-t-il. L’homme-médecine esquissa alors le plan d’une aire de danse du soleil et mentionna avec grand soin toutes les instructions nécessaires à l’administration de cette cérémonie.

J’ai tenté d’objecter : « Mais moi, je suis “fireman”. Ça me suffit. »

« Tu verras, tu en auras besoin un jour. »

Un jour, je comprends que toutes les visions se sont réalisées

Au terme d’une longue période de doute, mon chemin m’a amené malgré moi sur cette voie, celle que l’on nomme la « voie rouge », validant la prophétie transmise ce fameux soir par le vieil homme aux cheveux blancs. « L’esprit du vieux Crow Dog » avait dit Archie. Mais à cette époque, en 2001, Archie n’était plus. Il nous avait quittés et c’est à sa mémoire que nous avons organisé une Danse du soleil, chez moi, à Saint-Magne sous la direction de l’homme-médecine Heyoka, Phil Crazy Bull.

Il s’agit -là d’un des rituels les plus importants, si ce n’est le plus important de la tradition Lakota. Le danseur qui préside la cérémonie fait littéralement don de lui-même en offrant sa chair et son sang pour que le peuple vive. Alors que je l’accompagnais en tant que danseur, il m’appela au pied de l’arbre et sortit d’un grand coffre une coiffe de bison monumentale qu’il posa sur ma tête. « Maintenant, tu vas guider la danse du soleil avec moi. »

J’avais besoin de réponses cartésiennes et cela m’a ramené contre toute attente vers la spiritualité.

Je vécus alors un moment formidable dont je ne suis jamais revenu. C’est ainsi que je gagnai au fur et à mesure des années la reconnaissance de grands chefs Lakota, ces hommes-médecine qui m’ont autorisé, au gré de mon parcours, à guider leurs cérémonies et accompagner mes semblables en quête de vision. Aujourd’hui, je peux le dire, tous les rêves se sont réalisés.

Apprendre à concilier raison et spiritualité

Au cours de toutes ces années passées en compagnie des Lakotas, j’ai été le témoin de quantité de choses étranges. D’événements que l’on pourrait qualifier de surnaturels ou de bizarres. De 1999 à 2005, alors que je vivais ces différentes quêtes, me formant aux rites et à leurs exécutions, je repris en parallèle mes études de psychanalyse. J’ai été très choqué parfois par ce monde pour lequel je ne trouve pas de mot permettant de décrire fidèlement ma perception.

J’ai du mal à le dire, mais il y a quelque chose proche de nous. Des possibles que j’ai pu comprendre grâce à la psychologie. Je me posais plein de questions, sur moi, ma façon de vouloir rationaliser. J’ai compris grâce à Jung que l’inconscient collectif et l’inconscient individuel — que l’on peut nommer le Soi — sont proches de dieu. La psychologie m’a permis de me réconcilier avec tous mes doutes et de comprendre ce qui m’est arrivé, sans m’en éloigner pour autant. J’avais besoin de réponses cartésiennes et cela m’a ramené contre toute attente vers la spiritualité.

Car rien ne vient de moi, tout vient des esprits.

Aujourd’hui, je travaille comme psychanalyste et je suis principalement influencé par le courant de Carl Gustav Jung. Parallèlement à cette activité, je continue de transmettre l’héritage Lakota chez moi, en Gironde. Depuis 20 ans, nous organisons chaque mois la cérémonie du Inipi et la danse du soleil lors du solstice d’été, en juin.

Deux fois par an, j’accompagne également des groupes dans leur quête de vision. Ici, à Saint-Magne, la terre est chargée d’un lourd passé chamanique. Notre terrain a accueilli d’innombrables cérémonies et la plupart des gens qui me connaissent me voient comme un chaman. Mais je refuse ce titre que je trouve galvaudé. Je ne suis pas indien. Je me sens comme une pièce de puzzle au milieu de l’univers.

J’ajouterais surtout que je ne me sens pas important. Ce qui importe, c’est l’humilité. Il faut comprendre quelque chose : on ne choisit pas de devenir chaman. Si j’avais su ce qui m’attendait, j’aurais couru dans l’autre sens tant il faut faire preuve de patience, de constance, de compréhension, d’ouverture et d’amour des autres. C’est avant tout un chemin sur soi et un processus de compréhension de soi-même. Je me sens comme un transmetteur plutôt que comme un homme-médecine. Mon but en cela est de garder le canal intérieur le plus propre possible pour continuer à jouer ce rôle. Car rien ne vient de moi, tout vient des esprits.

Xavier DAVIAS
Correspondant local de presse et collaborateur régulier de la Dépêche du bassin. S'autorise de temps en temps une incartade sur les médias en ligne tels que Revue Far Ouest afin de traiter des sujets un peu à l'étroit sur papier. Prête-plume et rédacteur indépendant. A commencé deux ouvrages majeurs de la littérature française mais n’en a fini aucun. Un troisième opus est en cours.
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