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Vendredi 23 août 2019
par Chloé RÉBILLARD
Chloé RÉBILLARD
Bretonne qui s’est volontairement exilée au Pays basque, Chloé a fait ses premiers pas de journaliste au sein de la rédaction de Sciences Humaines et a rencontré le Pays basque avec Mediabask. Désormais journaliste indépendante, elle travaille sur les questions de société et d’environnement. Elle est notamment correspondante pour Reporterre.

Le sommet du G7 qui débute aujourd’hui à Biarritz plonge le Pays basque au cœur d’un arsenal policier et militaire extraordinaire, des deux côtés de la frontière. Si le contre-sommet qui a pris ses quartiers à Hendaye et à Irun, se revendique pacifique, l’éventualité que des manifestants utilisent des méthodes d’action offensives continue de faire débat. Un questionnement clivant particulièrement dans l’air du temps au Pays basque.

Photo de couverture : G7 EZ, non au G7, lors de l’ouverture des fêtes de Bilbao — Chloé Rébillard

Lundi 19 août. Sur le pont Saint-Jacques, à Hendaye — qui matérialise la frontière entre les États français et espagnol —, les policiers procèdent à un barrage filtrant et contrôlent des badauds de passage. Les touristes, comme les habitants du Pays basque en sont les premiers témoins : le dispositif policier mis en place autour de l’organisation du G7 est, comme l’avait annoncé Emmanuel Macron en mai dernier, inédit. Plus de 13 000 membres des forces de l’ordre françaises sont mobilisés, en plus de milliers de policiers espagnols et basques massés à la frontière.

Biarritz, qui accueille sept chefs d’État et hauts responsables des pays membres permanents du G7, devient une forteresse imprenable, avec des zones de restrictions de la circulation. Habituée en saison estivale à accueillir 100 000 personnes, la petite ville côtière devrait être vidée d’une partie de sa population qui a choisi de fuir cet enfermement imposé.

Les graffitis contre le G7 dans les rues de Bilbao
Dans les rues de Bilbao, de nombreux graffitis contre le G7 ont fleuri — Photo : Chloé Rébillard

Conséquence, c’est l’ensemble de la côte basque qui va vivre un dernier week-end d’août rythmé par la tenue de ce sommet, et par son exubérance sécuritaire. Les raisons invoquées sont explicitement liées à la tenue de mouvements protestataires, et au risque d’incidents violents. En visite le 20 août au Pays basque, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, déclarait : « Nous avons la culture de ces événements et surtout la mémoire », faisant référence aux précédents sommets, comme le G20 à Hambourg en 2017 où des confrontations directes avec les forces de l’ordre avaient marqué le sommet.

Le contre-sommet au centre des regards

Les organisations protestant contre la tenue du raout se sont réunies au sein d’une plateforme créée à l’automne dernier : G7Ez ! — Non au G7 !, en basque. Plus d’une cinquantaine d’organisations venues des deux côtés de la frontière franco-espagnole, syndicats, associations ou partis politiques ont travaillé de concert afin d’organiser le contre-sommet. Cette coordination a été rejointe par la plateforme française, Alternatives G7, qui réunit quant à elle une cinquantaine d’organisations à l’échelle hexagonale. Après de longues tractations avec la préfecture des Pyrénées-Atlantiques (64), les autorités ont donné leur accord pour la tenue d’un contre-sommet dans les villes frontalières d’Hendaye et d’Irún, à environ trente kilomètres du lieu de villégiature de Drumpf, Merkel ou de Macron. Ces plateformes, réunies sous le slogan « un autre monde est possible » veulent présenter des alternatives aux « systèmes d’oppression qu’incarnent le sommet ».

Revendiquées comme pacifistes, ces plateformes prônent des méthodes d’action allant du débat d’idées à la désobéissance civile : le contre-sommet oscillera ainsi entre occupations de places autour de Biarritz ainsi que des journées de conférences. Une grande manifestation est également programmée le samedi 24 à Hendaye. Alors que s’ouvre le G7, une question est sur toutes les lèvres : combien de militants aux méthodes plus offensives feront le déplacement ?

La police quadrille la frontière à l'approche du G7.
Le passage de la frontière sous haute sécurité, à quelques jours du sommet.

Une question tout, sauf anodine. L’opposition aux sommets mondiaux s’est développée dans les années 1990 avec l’émergence de luttes altermondialistes et anticapitalistes contestant le fait qu’une élite se réunisse pour décider du sort de la majorité. Dès les premières mobilisations, diverses méthodes militantes ont coexisté au sein des espaces de luttes. La question de la légitimité du recours à la confrontation directe s’est posée avec souvent la même réponse : chaque méthode s’organise avec son point de rendez-vous. Les anti-G7 basques n’ont pas échappé à la règle et cette question stratégique a été en filigrane de toute la réflexion menée depuis plusieurs mois.

Le pacifisme en question

Claire* (le prénom a été changé) une militante de G7Ez ! témoigne : « Dès le début, il fallait faire consensus. Le texte d’appel signé par les organisations était clair : la plateforme serait pacifique et ne réagirait pas aux violences des manifestants. C’est-à-dire, ni ne condamnerait, ni n’applaudirait afin de ne pas entrer dans ce débat. » Objectif : rassembler le maximum de monde et laisser une latitude à d’autres modes d’expressions que ceux définis en groupe. Bastien* (le prénom a été changé) un participant aux réunions de la première heure abonde : « Toutes les stratégies étaient alors possibles. »

Mais depuis les deux plateformes ont changé leur fusil d’épaule et ont défini un « consensus d’action » : « Nous ne dégraderons rien, nous ferons uniquement usage de méthodes et techniques non violentes et pacifiques pour montrer notre détermination, nous ne participerons pas à la surenchère et nous ne mènerons pas de stratégie de confrontation avec les forces policières. En cas de charge et violences policières, nous mettrons en place des techniques de résistance non violentes […]. Nous nous opposons à toute tentative de récupération de nos mobilisations à des fins commerciales, réactionnaires ou violentes. »

Dans le Petit Bayonne, une banderole hostile au G7.
Dans le cœur du Petit Bayonne, une banderole hostile à a tenue du G7 — Photo : Chloé Rébillard

Aurélie Trouvé, porte-parole de la plateforme Alternatives G7 et membre d’Attac, explique cette volonté : « C’est important pour respecter la diversité des mouvements sociaux. Il y a des organisations qui ne participeraient pas à un contre-sommet s’il n’y avait pas le consensus d’action. Et pour le 24 août, nous voulons une grande manifestation familiale et festive. » Un service de médiation a été mis sur pied chargé de veiller à faire respecter ce consensus.

Claire, elle, ne partage pas cette vision : « L’occupation policière est folle et c’est faire le jeu des autorités que de diviser le mouvement sur des questions stratégiques. Nous sommes face à des États ultra-répressifs. Pacifistes ou non, on va s’en prendre plein la gueule… ». Pour elle, l’argument selon lequel les manifestations pacifiques attirent plus de monde est fallacieux : « Ça joue le jeu de la petite musique : il y en a qui méritent la prison, la répression. Sans le dire vraiment ils font une distinction entre les “bons” et “mauvais” militants. Et c’est une illusion de penser que pour l’opinion publique cela change quelque chose. »

Les désaccords politiques ont poussé plusieurs collectifs à quitter la plateforme : Indar Beltza — énergie noire — un collectif qui regroupe des anarchistes et le collectif antifasciste du Pays basque nord — Ipeh antifaxista sont de ceux-là. « Certains iront peut-être à Hendaye, mais à titre individuel » souligne Bastien. Le désaccord premier se situe sur les méthodes « légalistes ». « Tout allait bien jusqu’à ce que le préfet intègre la plateforme », ironise-t-il.

En tant que Basque, c’est une humiliation que Emmanuel Macron ait choisie Biarritz pour faire son sommet et je suis persuadée que sans le processus de paix, il n’aurait pas fait ce choix.

Au premier jour du contre-sommet, le 21 août, deux gilets jaunes venus de Saint-Nazaire ont également pris la parole pour dénoncer le consensus d’action : « Nous voyons dans ce consensus une forme de désolidarisation vis-à-vis des formes d’actions qui ont marqué le mouvement des gilets jaunes, et tant d’autres avant lui. […] Cette préférence revendiquée ne nous semble pas, comme vous l’écrivez, prendre soin de nos diversités, et permettre à chacun de trouver sa place. »

Un contexte spécifique au Pays basque

Ce sommet à Biarritz n’est cependant pas le premier : en 2000, une rencontre entre puissances de l’Union européenne s’était déroulée dans la ville. Mais le contexte politique était différent : les actes de kale borroka — lutte de rue qui a marqué la deuxième partie du XXe siècle au Pays basque — étaient alors encore légion, et des heurts avaient éclaté avec les forces de police.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et le Pays basque a entamé une longue quête de pacification, concrétisée par le désarmement et la dissolution d’ETA. Les mouvements indépendantistes se sont eux majoritairement institutionnalisés. Enaut Arramendi, membre du syndicat LAB et porte-parole de la plateforme G7Ez !, confirme le rôle qu’a pu jouer le contexte politique particulier du Pays basque : « Le processus de paix a certainement eu une influence, puisqu’il est ancré dans notre territoire. Il serait d’ailleurs temps que les États français et espagnols s’engagent et prennent des actes forts. Concernant l’aspect pacifique, c’est un choix politique de l’ensemble des acteurs du Nord et du Sud. L’idée était de montrer d’autres images que celles des affrontements, et de se situer sur le terrain de l’affrontement des idées. »

Des personnes passent devant l'Hôtel du Palais, où se déroulera le sommet.
L’hôtel du Palais, où se déroulera le sommet — Photo : Chloé Rébillard

Lancé en 2009, lors du sommet de Copenhague (COP15), le mouvement altermondialiste, écologiste et abertzale — indépendantiste basque — Bizi ! se veut radicalement non-violent. Objectif : être visible médiatiquement et ainsi faire prendre conscience des enjeux, notamment climatiques, l’une de leurs priorités. Ils sont à l’origine de la série de « décrochage » de portraits de Macron dans les mairies, avec ANV Cop21 et Alternatiba, qui visait à dénoncer l’inaction du gouvernement en matière écologique. Une « marche des portraits » qui dévoilera les 125 photos présidentielles réquisitionnées au cours de l’année se tiendra à leur initiative le dimanche 25 dans les rues de Bayonne. Ce mouvement est symptomatique d’un changement de perspective au Pays basque.

L’utilisation de la confrontation directe avec les forces de l’ordre a été analysée par des militants de la gauche abertzale comme étant une impasse. Egoitz Urrutikoetxea, militant basque et fils d’un cadre d’ETA récemment arrêté, l’a exprimé en ces termes dans une tribune publiée dans les colonnes de nos confrères de Mediabask : « À défaut d’arriver à mettre en place un rapport de force suffisamment important pour renverser l’État on finit par le renforcer. L’expérience récente au Pays Basque devrait servir d’exemple quant à l’usage de la violence politique, qui peut à terme, enfermer dans une véritable impasse les mouvements de contestation », a-t-il écrit.

Mais là aussi, les points de vue divergent. Claire considère pour sa part que : « En tant que Basque, c’est une humiliation que Emmanuel Macron ait choisie Biarritz pour faire son sommet et je suis persuadée que sans le processus de paix, il n’aurait pas fait ce choix. »

Au-delà des fractures politiques qui sont apparues autour de la question des stratégies de lutte, les opposants n’en ont pas moins un dénominateur commun, la dénonciation de la violence principale, celle de l’État et du système économique : « La violence, les gens la voient là où ils ont envie de la voir », s’exclame Claire. Le lundi 19 août, Enaut Arramendi confiait : « Nous ne sommes pas là pour juger si la violence des opposants est légitime ou non. La violence existe tous les jours, dans la casse du Code du travail par exemple et la misère produite par les systèmes d’oppression. Là nous sommes à plusieurs jours du début du sommet et à Hendaye nous sommes déjà dans un État policier. »

Un autocollant dans le Pays basque français dit : "d'autres mondes sont possibles".
Un autocollant appelant à construire un autre monde, au Pays basque Nord — Photo Chloé Rébillard

Le choix de se déclarer pacifiste en amont de la manifestation pourrait déplacer certains mouvements contestataires vers d’autres lieux que celui du contre-sommet officiel. Des gilets jaunes ont d’ores et déjà lancé un appel à manifester à Bayonne le samedi 24 août et un appel relayé sur les réseaux sociaux invite à « prendre Biarritz depuis Bayonne ». En parallèle, un collectif nommé G7 blokatu (bloquer le G7) appelle à des actions de blocage afin de perturber le sommet en proclamant : « La violence est de leur côté, la justice du nôtre. »

Le déroulement de l’anti-G7 reste ainsi encore flou, de nombreux militants ne souhaitant pas s’exposer à des arrestations préventives. Pour Bastien l’essentiel est de trouver une place parmi les diverses options de lutte : « Advienne que pourra ! On veut que tout le monde puisse s’amuser, contester et que nous puissions tous nous protéger les uns les autres. »

Chloé RÉBILLARD
Bretonne qui s’est volontairement exilée au Pays basque, Chloé a fait ses premiers pas de journaliste au sein de la rédaction de Sciences Humaines et a rencontré le Pays basque avec Mediabask. Désormais journaliste indépendante, elle travaille sur les questions de société et d’environnement. Elle est notamment correspondante pour Reporterre.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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