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Lundi 5 août 2019
par Xan IDIART
Xan IDIART
Après avoir travaillé deux ans pour le site d'information Mediabask, je continue à écrire sur ma région natale, le Pays basque. Par le biais de mes articles, je souhaite démonter les clichés qui collent à la peau de ce territoire, et montrer qu'au-delà de l'image récurrente de carte postale, l'actualité politique, sociale et culturelle y est riche et passionnante.

L’Assemblée des jeunes Bayonnais, une association d’habitants âgés de 17 à 28 ans, organise depuis 2007 une alternative aux célèbres journées rouges et blanches de la ville. Objectif : proposer un évènement populaire basque et féministe.

14 h 30, place Patxa au cœur du « Petit Bayonne ». Une cinquantaine de personnes, attablée sous un chapiteau faisant face à une scène de concert, se protège d’une pluie battante. En cette après-midi du 27 juillet, Jokin, 22 ans, goûte à son dessert avec délice, une glace à la vanille de fabrication artisanale. « Chaque année je viens avec des amis. Les vraies fêtes de Bayonne, c’est ici, » avance-t-il entre deux cuillerées. « Ici », comme il le dit, c’est un quartier de Bayonne coincé entre l’Adour et la Nive, où ont lieu les journées alternatives de cet évènement. Leur mention ne figure d’ailleurs pas dans le programme officiel. Le comité des fêtes et ses sexagénaires, à l’origine des courses de vachettes et des concours de lancer d’espadrilles, ne se trouvent pas à la manette derrière cette petite place emblématique du patriotisme basque, où depuis des années trônent des fresques à la mémoire de militants basques disparus. Car « ici », tout est organisé par les membres de l’Assemblée des jeunes de Zizpa Gaztetxea, une association de Bayonnais et de Bayonnaises, âgés de 17 à 28 ans.

« On fonctionne entièrement en autogestion », explique Guilhem Dacosta, la vingtaine, cheveux blonds, pull vert sur les épaules, les yeux tirés par trois courtes nuits consécutives. « On ne reçoit aucune subvention de l’extérieur », poursuit-il, soucieux que l’association conserve son indépendance. Les alternatives ont un objectif bien précis : proposer un modèle différent des fêtes officielles et consuméristes de la ville, un modèle populaire, basque et féministe. Le slogan de ces cinq jours est clair à ce sujet. Herritik herriarentzat, « par le peuple pour le peuple en français ».

« C’est notre langue »

La défense de la langue basque est clairement l’une des priorités des organisateurs. Derrière le grand bar, et au-dessus de la scène, les consommations et le programme des festivités s’affichent partout en euskara. Un plus pour les habitués des lieux : « C’est un des très rares endroits où on peut vivre normalement en basque, » se réjouit Eñaut, accoudé au comptoir. Cet homme de 33 ans vient tout juste de commander une bière, « garagardo bat », dans sa langue natale. « Si je n’avais pas cette possibilité, je crois que je ne viendrais pas ici, » poursuit-il. Seul un message en faveur de la libération des prisonniers basques est placardé partout en anglais, histoire de rappeler que la « résolution du conflit basque » a toujours ses points de crispation.

Trois personnes arrivent au festival Alternatiboak. La programmation est écrite en euskara.
La programmation de ce festival basque et féministe est écrite en euskara. — Photo : Xan Idiart

Promouvoir l’euskara ? Une évidence pour les jeunes de Zizpa Gaztetxea. « C’est notre langue », soutient avec émotion Guilhemn Dacosta. « C’est normal pour nous d’utiliser les fêtes de Bayonne et les millions de personnes qui sont là pour la mettre en avant. » L’association salue les efforts faits en ce sens par la mairie ces dernières années. Pour la première fois en 2019, le corso, un défilé de chars très attendu par des milliers de personnes, a été en partie bilingue. Mais l’égalité totale entre le basque et le français est encore loin d’être atteinte : la signalétique officielle, exclusivement rédigée dans la langue de Molière, montre à elle seule, que beaucoup de choses restent encore à faire.

Les rues pour tous et toutes

Vêtue d’un gilet bleu pour se protéger de l’humidité, une jeune femme s’approche de la place Patxa. Ici, aucune obligation de venir en rouge et blanc. Chacun fait ce qu’il veut. Sur sa poitrine, un autocollant aux revendications féministes est fièrement mis à l’honneur. Elle le sait, son combat est partagé, puisque l’Assemblée lutte sans relâche contre les agressions sexistes et sexuelles ; des violences qui constituent un problème récurrent lors de ces cinq jours de débauche. Et cette année n’a pas dérogé à la règle. Le bilan de la préfecture des Pyrénées-Atlantiques fait état de trois agressions rapportées, dont le viol d’une femme qui dormait dans son camping-car.

Place Patxa, une immense banderole, lettres violettes sur fond blanc annonce la couleur des lieux : “Vive la lutte féministe !” En français, et en basque.

L’alcoolémie et la perception d’une fête sans limites sont souvent les excuses mises en avant par les auteurs de tels actes. Du côté de Zizpa Gaztetxea, on avait déjà prévenu dans un communiqué que les explications « fallacieuses de l’alcool et de l’humour » pour s’adonner à ces pratiques ne seraient pas acceptées place Patxa. Les jeunes ont mis en place un protocole en deux temps, pour réagir au mieux si des violences devaient avoir lieu.

Comme pour la promotion de la langue basque, l’Assemblée voit d’un bon œil les avancées de la mairie en matière de lutte contre les agressions sexuelles. Depuis l’année dernière, la ville se porte partie civile en cas de dépôt de plainte. Mais malgré cela, aux alternatives, on considère qu’il y a encore un travail de fond à effectuer : « Il y a plus d’affiches qui promettent une amende de 68 euros si vous urinez sur la voie publique que de messages contre les violences sexistes, » ironise Guilhem Dacosta. Place Patxa, une immense banderole, lettres violettes sur fond blanc annonce la couleur des lieux : « Vive la lutte féministe ! ». En français, et en basque bien sûr.

« C’est un honneur de jouer ici »

15 h 30. Le soleil ne fait toujours pas son apparition, mais la vie s’organise. Les premiers musiciens débarquent dans une camionnette rouge, déchargent leur matériel et commencent à s’installer sur scène pour la soirée. Alors que Maître Gims et Patrick Bruel se disputent les concerts officiels, ici, les artistes locaux sont privilégiés. Garilak 26, Doctor Mefisto, Diabolo Kiwi… Les groupes basques sont en tête d’affiche et jouent jusque tard dans la nuit. La place voit chaque soir défiler des milliers de fêtards conquis par une ambiance de folie. « C’est un honneur pour nous de nous produire ici », sourit Josema, un homme à la barbe hirsute, sonorisateur du groupe Anita Parker, originaire du Pays basque Sud, sous administration espagnole. « On est souvent venus en tant que spectateurs, et on sait à quel point les jeunes travaillent d’arrache-pied pour organiser ces alternatives, » rapporte-t-il.

Oihana, la vingtaine, s’approche du comptoir et vient voir si elle doit relayer un des bénévoles. Le bar, l’accueil des artistes, les repas… les membres de l’Assemblée travaillent tous quatre heures par jour, voire plus. Ils sont officiellement quinze dans l’association, mais les anciens et les amis viennent parfois leur prêter main forte.

Aujourd’hui, difficile d’imaginer des fêtes de Bayonne sans les alternatives. Un fait accepté par les élus eux-mêmes.

Les anciens justement, des trentenaires encore pour la plupart. Tout a commencé avec eux il y a douze ans, en 2007. À l’époque, des revendications plein la tête, ils installent sans autorisation un minuscule chapiteau de cinq mètres de diamètre le temps d’une soirée place Patxa. Une occupation d’un espace public dans les règles de l’art. L’objectif est déjà bien précis : proposer une autre vision de cette semaine spéciale dans la vie de la ville, pensée et gérée par ses habitants.

Les années passent et ces militants se professionnalisent à force d’expérience. Aujourd’hui, difficile d’imaginer des fêtes de Bayonne sans les alternatives. Un fait accepté par les élus eux-mêmes. En 2019, le premier édile, Jean-René Etchegaray (UDI) s’est encore une fois rendu sur les lieux afin d’en observer le déroulement. Malgré deux visions du monde opposées, « les relations avec la mairie et les fonctionnaires de la commune sont très bonnes », certifie Guilhem Dacosta.

L'Assemblée des jeunes bayonnais, qui organise Alternatiboak, tient des affiches du festival.
L’Assemblée des jeunes Bayonnais organise chaque année les alternatives aux fêtes de Bayonne. — Photo : Mathieu Prat

Et les bars aux alentours n’ont aucun problème avec l’Assemblée. C’est d’ailleurs depuis le balcon de l’un deux, le café des Pyrénées, que les alternatives organisent leur propre ouverture. Pas de Jean-Marie Bigard ou d’Anne-Sophie Lapix pour lancer le txupinazo, mais des personnalités actives au sein de la société basque. Cette année, c’est l’association Diakité qui vient en aide aux nombreux migrants en transit au Pays basque qui a eu la chance d’allumer la mèche sous les applaudissements de plusieurs centaines de Bayonnais et de Bayonnaises. Les joutes de bertso, poèmes improvisés et chantés en euskara, et le banako, une danse traditionnelle, ont ponctué le début de cinq jours endiablés, mais néanmoins respectueux de tous et de toutes. Jeunes, moins jeunes, Basques, Français, Érythréens, tous sont invités à réaliser le pas de danse. Un symbole, maintenu par l’Assemblée pendant la durée des fêtes.

C’est bien un constat sans appel : les alternatives du Petit Bayonne ont le visage de l’authenticité pour des Bayonnais et des Bayonnaises de plus en plus nombreux à s’y abandonner chaque année.

Retrouvez notre feuilleton sur la résolution du conflit basque : « Comment vivre en paix ».

Xan IDIART
Après avoir travaillé deux ans pour le site d'information Mediabask, je continue à écrire sur ma région natale, le Pays basque. Par le biais de mes articles, je souhaite démonter les clichés qui collent à la peau de ce territoire, et montrer qu'au-delà de l'image récurrente de carte postale, l'actualité politique, sociale et culturelle y est riche et passionnante.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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